Chasse aux mauvais payeurs dans la région

Ce n’est pas parce qu’on s’appelle Paiement, Généreux ou Richard qu’on a nécessairement une bonne réputation de crédit. Des entrepreneurs peu scrupuleux et des consommateurs ambitieux profitent des largesses de l’achat au crédit pour se servir sur le dos des entreprises. Pour mettre fin à leur stratagème, des groupes de partage d’information se forment. Avis aux mauvais payeurs, votre nom circule aussi vite que la rumeur court.

 

Dans la salle de conférence du Service de crédit l’Excellence, installé à Saint-Alphonse-de-Granby, huit entrepreneurs prennent place autour de la table. À l’arrivée, l’ambiance est bon enfant, on partage des nouvelles, on se déride et on se sert même un petit verre de blanc pour accompagner le dîner.

 

L’objectif de la rencontre n’a pourtant rien de rigolo, les clients du bureau de crédit sont là pour partager de l’information strictement confidentielle. Une fois le dîner englouti, l’activité réseautage fait place aux discussions sérieuses.

 

«Comme d’habitude, je vous rappelle que toutes les informations partagées ici sont confidentielles», rappelle Benoit Dicaire, président du bureau de crédit et animateur de la rencontre. Les séances sont généralement supervisées par un cabinet d’avocat, mais pas celle-ci en raison d’un conflit d’horaire.

 

«Je joue le rôle de modérateur, mais l’avocat permet de nous ramener à l’ordre si on sort du cadre de partage d’information», précise l’animateur. Pas question de tomber dans la diffamation ou dans le blocage concerté d’un client. «On ne fait pas de liste noire, on fait circuler l’information. Ça permet de valider des renseignements».

 

Avant d’ouvrir la discussion, une feuille circule autour de la table. Tour à tour, les participants signent l’engagement de confidentialité. On peut y lire que «…le participant reconnaît que les renseignements et les informations lui sont transmis dans le seul et unique but d’évaluer la situation financière et la solvabilité des détaillants ou consommateurs». Il ne doit «sous aucun prétexte, les utiliser à d’autres fins».

 

Au menu, une quarantaine de noms à soumettre. «Je demande aux participants de fournir cinq noms, donc si on est 20, c’est 100 noms qui sont enquêtés. Ça peut être un nouveau client et le membre veut savoir si quelqu’un a de l’information sur lui, ça peut aussi être une personne qui ne paie pas et le membre veut savoir si quelqu’un connaît sa situation», explique M. Dicaire.

 

Le premier sur la liste est un entrepreneur en construction qui tarde à payer des services rendus en plaidant un manque de liquidités. «Il est connu du bureau depuis deux ans, on va se parler après la rencontre», annonce le spécialiste qui classe les mauvais payeurs en trois catégories: temporaires, chroniques et critiques.

 

On passe au suivant et les noms défilent ainsi alors que chaque intervenant apporte sa contribution chaque fois que le sujet lui est familier. Casse-croûte, autoconstructeur, travailleur autonome, simples consommateurs ou fournisseur de matériaux, tous les domaines y passent.

 

Pour le bénéfice de tous et pour avoir le plus d’informations de base possible, l’animateur de la rencontre affiche le site web du Registre des entreprises du Québec à l’écran. On connaît alors le nom exact du propriétaire de l’entreprise, ses autres propriétés et son adresse d’affaires.

 

Précautions
Benoit Dicaire voit son initiative comme un moteur économique régional. «On est une communauté d’affaires et on favorise l’échange d’information», dit-il. Celle-ci peut être négative quand les clients tardent à payer leurs factures ou positive quand quelqu’un sait qu’une transaction se prépare ou qu’un gros contrat vient d’être signé quelque part.

 

Pour lui, le réseautage améliore le rendement, améliore les profits et améliore la compétitivité des membres. Avec ses services personnalisés, le directeur de crédit affirme avoir permis à 200 PME de récupérer 875 000$ depuis un an.

 

«Des groupes de partage d’information, ça existe ailleurs, mais par secteurs. Il y en a dans l’alimentation, en construction, même en coiffure!», énumère le spécialiste. La particularité de son groupe, c’est qu’il rassemble une quarantaine de membres qui ont en commun leur lieu d’affaires. Ils sont situés à l’intérieur du quadrilatère Sherbrooke, Ange-Gardien, Saint-Hyacinthe, Drummondville.

 

L’argument est simple: peu importe le secteur d’activité, les mauvais clients sont les mêmes. Par exemple, celui qui ne paie pas son loyer est le même qui ne paie pas sa voiture, ses frais au garage, au gym ou chez le vétérinaire.

 

Des effets dévastateurs
Il y quelques années, Claude Fritsch aurait eu bien besoin que quelqu’un tire la sonnette d’alarme. À cause d’un mauvais payeur, il a tout perdu. Pour rembourser sa banque, il a liquidé ses possessions personnelles, hypothéqué deux maisons «claires», vendu sa terre.

 

«La valeur nette des pertes… j’ai perdu plus d’un million de dollars», calcule-t-il. Tout ça pour avoir loué ses bâtiments de ferme à un producteur de porc qui ne payait pas son loyer, mais que la banque empêchait d’expulser sous peine de poursuites. «Il me devait 189 000$ de loyer», révèle l’agriculteur d’Upton.

 

Tout allait pour le mieux pour Claude Fritsch. Il possède 800 truies, engraisse 20 000 porcs par année et cultive 500 hectares de maïs et soya. Il fournit du travail à neuf employés. Jusqu’à ce que la maladie frappe.
Durement affaibli, l’agriculteur doit ralentir. Pour remplacer ses revenus, il loue ses quatre bâtiments à un autre producteur qui y installe ses animaux.

 

Son locataire lui fait alors une offre d’achat qu’il refuse. Flairant la bonne affaire, le locataire saute des paiements, étire ses mois de loyer et finalement cesse complètement de verser ses mensualités… et déclare faillite!
Sans revenu de ses loyers et impuissant devant la situation, c’est lui qui écope. La banque étire le bras et saisit tout. Le début d’un cauchemar dont il commence à peine à se sortir.

 

Claude Fritsch a perdu plus d’un million de dollars à la suite de la faillite d’un mauvais client.