MMA et Transports Canada blâmés pour la tragédie de Lac-Mégantic

CONCLUSIONS. L’«exploitation douteuse» et la «faible culture de sécurité» de la Montreal, Maine & Atlantic Railway (MMA), jumelées au peu de vérifications de Transports Canada ressortent du rapport d’enquête final sur la tragédie de Lac-Mégantic rendu public mardi par les représentants du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST).

À prime abord, la mise en place de seulement sept freins à main est montrée du doigt par les experts. De plus, lorsque la solidité des freins à main a été testée ce soir-là, les freins à air des locomotives sont demeurés serrés durant l’essai, de sorte que le mécanicien de locomotive, le Farnhamien Thomas Harding, a eu faussement l’impression que les freins à main appliqués étaient suffisants pour maintenir le convoi en place.

Au départ du mécanicien de Nantes, une fumée excessive s’échappait de la locomotive de tête. Tom Harding, qui a fait face à de nombreux ennuis mécaniques cette journée-là, en a avisé ses supérieurs. «Parce qu’ils s’attendaient à ce que la fumée se résorbe, il a été convenu de laisser le train tel quel et de s’occuper de la situation le lendemain», lit-on dans un résumé du rapport fourni par le BST.

Or, un incendie s’est plutôt déclaré au niveau de la cheminée de la locomotive forçant l’intervention des pompiers de Nantes peu avant minuit. Ceux-ci ont coupé l’alimentation en carburant de la locomotive pour procéder à l’extinction du brasier. En coupant les moteurs de toutes les locomotives, la pression des freins à air a lentement chuté, si bien qu’ils ne retenaient plus l’imposant convoi de 72 wagons immobilisé dans une pente descendante. Le train de la mort a progressivement parcouru la douzaine de kilomètres qui séparent Nantes à Lac-Mégantic jusqu’à atteindre la vitesse de 104 km/h avant de dérailler et de s’enflammer dans le centre-ville. Pour immobiliser convenablement ce convoi, le BST évalue entre 17 et 26, le nombre de freins à main qui auraient dû être actionnés.

Plus d’un facteur

«Les accidents ne sont jamais causés par une seule personne, un seul geste ou un seul facteur. Nos enquêtes doivent tenir compte de tout le contexte. Dans ce cas-ci, le contexte est plus large», indique Jean Laporte, administrateur en chef du BST.

Si bien que 18 facteurs interdépendants ayant joué un rôle dans la tragédie ont été identifiés dans l’imposant document de 219 pages. «Si n’importe lequel de ces facteurs ne s’était pas produit, peut-être que l’accident n’aurait pas eu lieu», poursuit M. Laporte.

Parmi ces facteurs, plusieurs concernent directement la MMA, «dont l’exploitation était douteuse», dit M. Laporte. Il donne en exemple que l’entreprise limitait la vitesse plutôt que d’investir pour sécuriser ses installations. «La MMA ne gérait pas efficacement les risques dans ses activités courantes et dans les changements opérationnels. La culture de sécurité était faible et les gens faisaient le strict nécessaire pour accomplir leur travail. On tolérait des conditions et des pratiques dangereuses», continue Jean Laporte, lors d’un point de presse tenu en direct de Lac-Mégantic, mardi.

Transports Canada

Dans son rapport final, le BST inculpe aussi Transports Canada qui n’a pas su assurer la sécurité du public. «Transports Canada savait que la MMA avait des problèmes, mais il n’y avait pas de suivi. On s’assurait que la compagnie avait un système de gestion de sécurité plutôt que de voir comment elle s’en servait et s’il était efficace», note M. Laporte.

De ce fait, le BST adresse deux nouvelles recommandations à Transports Canada, portant à cinq le nombre d’avis formulés depuis la tragédie.

«Les compagnies ferroviaires canadiennes doivent mettre en place des moyens de défense physiques additionnels pour empêcher les trains de partir à la dérive», explique Jean Laporte.

À cela, le BST ajoute que «Transports Canada doit jouer un rôle plus actif à l’égard des systèmes de gestion de la sécurité des compagnies ferroviaires, en s’assurant non seulement qu’ils existent, mais qu’ils fonctionnent et qu’ils sont efficaces.»

À l’heure actuelle, le BST ne cache pas qu’une pareille tragédie puisse à nouveau survenir au Canada. «Présentement, il y a des risques que ça se reproduise, c’est pourquoi qu’on demande des mesures additionnelles de défenses physiques pour sécuriser les trains et qu’on demande à Transports Canada de vérifier les systèmes de gestion de sécurité des compagnies.»

lAvenirEtDesRivières.com a tenté de joindre Me Thomas Walsh, l’avocat qui représente le Farnhamien Thomas Harding accusé de négligence criminelle ayant causé la mort de 47 personnes, mais ce dernier n’a pas retourné notre appel.

La ministre Lisa Raitt réagit

La ministre des Transports du Canada, Lisa Raitt, a réagi par courriel, via son attachée de presse, à la publication du rapport du BST. «Immédiatement après la tragédie, notre gouvernement a pris des mesures vigoureuses pour assurer la sécurité et l’intégrité du réseau ferroviaire canadien. Nous nous employons notamment à mettre en œuvre chacune des recommandations du BST. […] Nous partageons son objectif de renforcer la sécurité du réseau ferroviaire. Afin de mieux protéger nos familles et nos communautés, j’ai demandé au Ministère d’élaborer de façon accélérée des mesures concrètes pour donner suite aux recommandations.»

Les 18 facteurs contributifs de l’accident de Lac-Mégantic

Locomotive

-Ennuis mécaniques non corrigés

-Défaillance d’une réparation non standard au moteur

-Incendie dans le moteur de la locomotive

-Dispositif de sécurité pas câblé pour déclencher un freinage

Wagons-citernes

-Wagons-citernes perforés et pétrole brut très volatil

Transports Canada

-Surveillance inadéquate des changements opérationnels

-Suivi limité des lacunes de sécurité

-Programme inefficace de vérifications des systèmes de gestion de sécurité (SGS)

Déraillement

-Vitesse excessive du train sur la voie

Immobilisation du train

-L’air s’est évacué des freins à air indépendants

-Essai incorrect de l’efficacité des freins à main

-Nombre insuffisant de freins à main

Montreal, Maine & Atlantic Railway

-Train laissé sans surveillance sur une pente

-Aucune mesure de défense additionnelle

-Formation et surveillance inefficaces sur l’immobilisation des trains

-Faible culture de sécurité

-SGS pas pleinement mis en place

-Gestion inefficace des risques