De Grand-Goâve à Farnham: un périple de cinq ans à travers les Amériques

IMMIGRATION. Entré au Canada à la mi-septembre par le chemin Roxham avant d’être pris en charge par l’organisme Ansanm Haîti-Québec, Waby Julien réside aujourd’hui à Farnham avec deux membres de sa famille. L’Avenir & Des Rivières a eu la chance de s’entretenir avec lui, voilà quelques jours, et a découvert un jeune homme au parcours étonnant.

Waby a perdu ses parents en janvier 2010 lors du séisme qui a dévasté Haïti et fait plus de 220 000 morts et 300 000 blessés. Il venait à peine d’avoir onze ans.

Orphelin de père et de mère, le jeune garçon a été accueilli à l’orphelinat Foyer de la Grâce, un établissement construit de toutes pièces par un petit groupe de travailleurs bénévoles dirigé par le Farnhamien Serge Rosselet.

Durant son séjour de 40 mois à l’orphelinat de Grand-Goâve, Waby a notamment participé à la création d’une série d’œuvres artistiques, avec une trentaine d’autres jeunes de son âge, sous la supervision de Mary Deptuck et Anne Labrecque, de Farnham, et d’Anne-Marie Chapdelaine, de Granby.

Les créations des enfants ont par la suite été rapatriées au Québec et ont été vendues lors d’un encan silencieux tenu à Bromont. Les profits de cette activité ont été remis à Ansanm Haîti-Québec pour aider l’organisme à poursuivre sa mission à Grand-Goâve.

Ansanm Haîti-Québec se spécialise dans le microfinancement en agriculture. Les prêts consentis aux petits producteurs haïtiens permettent à ces derniers de se procurer les outils et les semences dont ils ont besoin pour la culture des fruits et légumes.

«Chaque année, les emprunteurs remboursent leur prêt et deviennent ainsi éligibles à de nouveaux prêts», signale M. Rosselet.

Départ d’Haïti

En décembre 2017, au sortir des bancs d’école, Waby a décidé de quitter sa terre natale pour le Chili, en compagnie de sa sœur Joane, de sa nièce Joani et de quelques compatriotes.

«Il était alors très difficile de trouver du travail en Haïti. Il y avait bien la cueillette des fruits, mais pas beaucoup d’autres débouchés», explique celui qui était alors âgé de 18 ans.

En mai 2019, après un séjour de 17 mois à Santiago, le jeune Haïtien et son petit groupe ont repris la route pour le Brésil à bord d’un autobus. Ils y habiteront pendant 23 mois.

En avril 2021, Waby quitte le Brésil à destination de la Bolivie, puis parcourt les pays voisins (Pérou, Équateur, Colombie, Panama, Costa Rica, Nicaragua, Honduras, Guatemala) en autobus et parfois même à pied.

«Notre trajet à pied entre la Colombie et Panama, dans les montagnes et dans la forêt tropicale, a duré de quatre à cinq jours et a été particulièrement éprouvant pour ma soeur qui transportait sa fille de deux ans au moyen d’un porte-bébé», indique-t-il.

Mexique et États-Unis

Waby se rapproche tranquillement de sa destination finale. Il entre au Mexique au début du mois de mai, puis à San Antonio, au Texas, au début de juin.

«À la suite de cette entrée illégale, les soldats nous ont conduits dans un camp militaire, puis les autorités américaines nous ont pris en charge», poursuit notre interlocuteur.

Waby et Joane seront par la suite hébergés par leur sœur, à Lake Worth en Floride, pendant six mois, soit jusqu’à la mi-décembre.

Ils vivront ensuite dans un appartement voisin pendant quelques mois avant de reprendre la route pour l’Indiana en avril 2022.

Le 14 septembre de la même année, Waby monte à bord d’un taxi à Plattsburgh en direction du chemin Roxham. Sa sœur Joane et sa nièce Joani feront le même trajet en octobre. Les voilà maintenant en sol canadien, près de cinq ans après leur départ d’Haïti.

Formalités d’usage

Selon l’Entente sur les tiers pays tiers, le Canada peut refouler les demandeurs d’asile qui traversent la frontière par voie terrestre aux postes de douanes, mais doit accepter ceux qui arrivent de façon irrégulière en empruntant une autre voie d’entrée. Le chemin Roxham par exemple.

«À notre arrivée au Canada, nous avons été arrêtés et soumis à une fouille complète. Après avoir passé un examen médical, les autorités nous ont acheminés vers l’hôtel Gouverneur, à l’Île-Charron, où nous avons séjourné pendant 20 jours avant d’être hébergés à la Place Dupuis, à Montréal», résume notre interlocuteur aujourd’hui âgé de 24 ans.

Waby et sa sœur disposent désormais d’un permis de séjour leur donnant accès aux soins de santé, l’éducation, l’aide sociale et la francisation.

«Les autorités nous ont par ailleurs donné rendez-vous, le 24 janvier 2024, pour une rencontre en lien avec notre demande d’asile», ajoute Waby.

Après l’obtention de son premier chèque d’aide sociale, Waby a dû quitter la Place Dupuis et s’est retrouvé dans la rue pendant trois jours avant d’avoir accès à un refuge pour les sans-abri.

Arrivée à Farnham

Serge Rosselet a appris l’arrivée de Waby au Québec par un habitant de Grand-Goâve avec lequel il était resté en contact.

«Je suis descendu à Montréal et nous nous sommes mis à la recherche d’une chambre pour Waby, sans grand succès. Je l’ai finalement hébergé chez moi pendant deux mois, de la mi-novembre 2022 au début du mois de février dernier, avant de dénicher un appartement à Farnham. Waby vient tout juste de s’y installer avec sa sœur et sa petite nièce», résume Serge Rosselet.

Ce dernier ajoute que le propriétaire de l’immeuble à logements a fait preuve de générosité envers ses nouveaux locataires en leur fournissant certains biens essentiels. Ces derniers ont également trouvé plusieurs items de première nécessité au Chiffonnier, une friperie opérée par le Centre d’action bénévole de Farnham.

Waby aimerait bien retourner aux études et envisage notamment une formation en génie civil. Il devra au préalable obtenir un permis de travail et compléter les démarches en vue de l’obtention de son statut de résident permanent.

«On regarde également pour des cours de francisation qui permettraient à Joane et Joani de contourner la barrière de la langue. La sœur et la nièce de Waby ne sont pas familières avec la langue française et ne parlent que le créole», explique M. Rosselet.

Les nouveaux arrivants s’acclimatent également petit à petit à leur nouvel environnement (épicerie, institutions financières, etc.) et au climat nordique du Québec.

«Mes nouveaux concitoyens ont été impressionnés de voir la glace qui recouvre la rivière Yamaska», poursuit M. Rosselet.