Mort de la fillette de Granby: une enfant abandonnée par le système

ENQUÊTE. «Tout le monde a échappé cette enfant dans le système», se désole la coroner Géhane Kamel qui a déposé son rapport, mercredi dernier, sur le tragique décès de la fillette de Granby survenue le 30 avril 2019.

Dans son rapport de 26 pages où elle expose les dernières heures de la fillette et les ratés du système affairé à protéger l’enfant, la coroner Kamel juge que plusieurs drapeaux rouges ont été levés dans ce dossier, mais en vain. 

«Plusieurs signes avant-coureurs laissaient présager cette tragédie. Bien que des passages de l’analyse de mon rapport puissent être difficiles à lire, il est de mon devoir de donner une voix à cette enfant», mentionne la coroner.

Des sévices physiques apparents, des signalements rejetés à la DPJ sans aucun motif inscrit au dossier, des confidences sur les mauvais traitements évoquées par l’enfant à des tiers (intervenants scolaires, enseignants), un manque de coopération entre la famille et les intervenants, une scolarisation à domicile inadéquate pour une enfant en grande difficulté, des rendez-vous de suivi manqués entre l’école et la DPJ, une fillette tenue au mutisme par son père et sa belle-mère. Autant de signaux qui auraient dû alerter les autorités compétentes impliquées dans cette histoire à la fin cruelle.

En novembre 2018 alors que la fillette fréquente l’école, elle confie à un membre du personnel: «Quelqu’un de la DPJ va venir me parler ce matin, que papa a dit qu’ils veulent m’enlever, mais qu’il allait me défendre et qu’ils vont poser des questions méchantes et moi je ne répondrai pas.» Un scénario qui se répète lors d’une entrevue vidéo en compagnie d’un policier écourtée après seulement huit minutes. «Ce qui se passe à la maison doit rester à la maison», avouera la fillette. 

La protection des enfants constitue l’une des valeurs les plus fondamentales de notre société. Or, ce drame particulièrement odieux en est l’antithèse.»

La coroner Géhane Kamel

«Durant cette entrevue, les intervenants de la DPJ sont présents dans la salle miroir, mais pas de second policier. De concert avec la DPJ et le DPCP, le dossier est classé sans suite, la fillette n’ayant pas formellement exposé les sévices subis. Il est important de rappeler que l’information initiale provenait de l’école. (La fillette) avait déjà confié à un membre du personnel scolaire les sévices infligés», peut-on lire dans le rapport.

Vingt-quatre visites des policiers

On y apprend aussi qu’entre 2012 et le jour du décès de la fillette, les policiers sont intervenus à 24 occasions au domicile de l’enfant.

«Ce chiffre à lui seul aurait dû suffire à déclencher une analyse plus approfondie. En mai 2018, le tribunal a maintenu l’enfant sous la garde de son père estimant cette option la moins dommageable. Avec du recul, on peut légitimement se demander: était-ce vraiment dans l’intérêt de l’enfant?», se demande la coroner Kamel. 

Douze recommandations

Six ans après le décès de la fillette de Granby, la coroner Kamel soumet donc 12 recommandations à l’intention notamment des ministères de la Santé et des Services sociaux, de l’Éducation, de la Justice et de la DPJ. 

«La DPJ ne peut être seule à porter la responsabilité du bien-être des enfants ni à être blâmée lorsque survient un échec. La pénurie de main-d’œuvre et l’attractivité limitée du travail d’intervenant à la DPJ demeurent des défis majeurs. La lourdeur et l’intensité de la tâche amènent plusieurs intervenants à quitter le milieu des services à la jeunesse, ce qui ne fait qu’aggraver la pénurie et nuire à la qualité des services offerts aux familles vulnérables. C’est un véritable exode d’intervenants», écrit-elle.

Or, en 2024, soit cinq ans après les faits, la DPJ de l’Estrie avait 650 dossiers en attente d’évaluation. Un nombre comparable à 2019 (785 dossiers). 

«Ce drame ne relève pas uniquement du réseau hospitalier, de la DPJ ou du milieu scolaire. Il engage la responsabilité de tous les acteurs: CLSC, protection de la jeunesse, éducation, justice, santé et, j’ose le dire, à chaque membre de cette société, qu’il soit parent ou simple citoyen», soutient Me Géhane Kamel.