Alzheimer : des dépôts de gras mis en cause

MONTRÉAL — Il pourrait être possible d’améliorer le sort des patients atteints de la maladie d’Alzheimer en leur administrant un médicament qui attaque les plaques de gras qui se forment dans leur cerveau assez tôt pendant le développement de la maladie, laissent espérer des travaux réalisés par des chercheurs québécois.

La chercheuse postdoctorale Laura Hamilton, du centre de recherche du CHUM, et son collègue Karl Fernandes, chercheur associé au CRCHUM et professeur-chercheur à l’Université de Sherbrooke, avaient rapporté en 2015 que des dépôts de gras (à ne pas confondre avec les plaques de protéines mieux connues dans le cadre de l’alzheimer) engommaient le cerveau des patients.

Ces accumulations de gras avaient tout d’abord été vues dans le cerveau de souris, puis leur présence a été confirmée dans des cerveaux humains lors d’un examen post-mortem.

Leurs nouveaux travaux, qui font l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue scientifique Nature, constituent «le deuxième chapitre», a dit M. Fernandes, puisqu’ils s’intéressent à la manière dont on pourrait s’en prendre à l’enzyme responsable de la formation de ces dépôts de lipides.

Encore plus précisément, le nouvel article s’intéresse spécifiquement à l’hippocampe, une structure du cerveau essentielle à la mémoire et à l’apprentissage.

«Ce qu’on a vu, c’est que si on donne dans le cerveau (de souris) ce médicament-là qui inhibe l’enzyme qui crée cet acide gras qu’on pense toxique, on peut renverser beaucoup des gènes qui sont impliqués dans la maladie d’Alzheimer à des taux comme chez la souris sauvage, donc (…) à un taux plus normal», a résumé Mme Hamilton.

Qui plus est, les gènes touchés jouent un rôle primordial dans différentes facettes de la maladie d’Alzheimer, a-t-elle ajouté.

Ces dépôts de gras semblent se former dans le cerveau très tôt pendant l’évolution de la maladie, bien avant plusieurs autres changements qui finiront par causer les symptômes habituels de l’alzheimer, mais après l’accumulation de protéines amyloïdes au tout début de la maladie.

«Le médicament qu’on a utilisé va modifier la composition des acides gras et ça va corriger la mémoire, a dit M. Fernandes. C’est comme un peu comme le chaînon manquant entre le déclencheur, l’amyloïde, et toutes les choses qu’on voit après.»

Le médicament (le SCDi) a aussi eu comme effet de combattre l’inflammation dans le cerveau et de rétablir les connexions entre les cellules, a précisé Mme Hamilton. Les souris qui l’ont reçu ont retrouvé les mêmes capacités de mémoire qu’une souris qui n’aurait jamais été malade, après seulement un mois de traitement et même si elles affichaient déjà des pertes de mémoire évidentes.

Mme Hamilton et M. Fernandes peuvent presque se targuer d’avoir été ceux qui, dès 2015, ont mis la communauté scientifique sur la piste de ces accumulations de gras dans le cerveau dans le contexte de la maladie d’Alzheimer.

Mais quand on remonte dans la littérature scientifique, dit M. Fernandes, on constate que le docteur Alois Alzheimer avait lui aussi décrit ces agrégats de lipides il y a une centaine d’années. 

«Mais après quelques années, les gens n’ont comme pas pensé que c’était important, donc ça a été oublié dans la littérature», a-t-il souligné.

Quoi qu’il en soit, depuis 2015, plusieurs autres chercheurs se sont intéressés au rôle que pourrait jouer le SCDi pour combattre d’autres maladies neurodégénératives, comme la maladie de Parkinson et la sclérose en plaques. Un essai clinique a même été initié dans le traitement du parkinson l’an dernier.

Les deux chercheurs québécois seraient pour le moment les seuls à examiner en profondeur le rôle joué par ces dépôts de gras dans la maladie d’Alzheimer.

Leurs travaux pourraient éventuellement mener au développement de nouveaux tests de dépistage de la maladie et, espèrent-ils, de nouveaux traitements, d’autant plus que les inhibiteurs nécessaires sont déjà disponibles sur le marché après avoir été développés pour d’autres problèmes de santé, ce qui constituera «le troisième chapitre», a dit M. Fernandes.

«On a pu réguler la mémoire avec un médicament, après seulement un mois, a souligné Mme Hamilton. Peut-être que si on traite plus longtemps, plus tôt, ou plus tard, qu’on pourrait avoir des effets encore plus extraordinaires. On ne sait pas, mais c’est très prometteur pour nous.»