Arsenic dans l’air à Rouyn-Noranda: jusqu’à 14 cancers de plus avec le statu quo

MONTRÉAL — Sur une période de 70 ans, un nombre excédent de citoyens de Rouyn-Noranda, entre un et 14, développeraient un cancer si l’entreprise Glencore ne diminue pas la concentration d’arsenic dans l’air produit par la Fonderie Horne.  

C’est l’une des conclusions d’une étude très attendue de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), publiée mercredi matin.  Plus la diminution sera rapide et importante, plus il y aura un gain pour la santé publique, selon les chercheurs de l’INSPQ.  

«Les émissions historiques d’arsenic et de cadmium de la Fonderie Horne sont associées à un risque estimé accru de cancer dépassant le seuil de risque considéré comme négligeable au Québec», peut-on lire dans la conclusion du rapport.

L’institut a fait une évaluation des risques de cancers dans un scénario où une personne est exposée pendant toute sa vie à 165  nanogrammes (ng) d’arsenic par mètre cube (m3) dans l’air, ce qui représente la moyenne des dernières années à Rouyn-Noranda.

«On ne peut pas trouver acceptable qu’une population soit soumise à ce risque», a indiqué le directeur national de la santé publique du Québec, Luc Boileau, lors d’une conférence de presse mercredi matin.

Le directeur national de la santé publique n’a toutefois pas voulu préciser quel serait le seuil acceptable d’émission d’arsenic émis par la Fonderie Horne, en précisant qu’il revient au ministère de l’Environnement et à la population de le déterminer.

«La plage d’acceptabilité n’est pas un point de vue du directeur national de la santé publique», a mentionné Luc Boileau.

Il revient à la communauté «de convenir avec les autorités responsables et le gouvernement de ce qui est acceptable», a indiqué Luc Boileau en ajoutant que «nous, on n’est pas là pour dire ce qui est acceptable pour les gens, on est là pour clarifier la situation et de maîtriser le mieux possible les risques pour les rendre authentiques à l’esprit des gens et ils peuvent faire leur choix».

Pourtant, la norme provinciale est fixée à 3 ng/m3.

En point de presse à Québec, le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, ne s’est pas avancé lui non plus sur un seuil qui serait imposé à la Fonderie Horne.

«Si la santé publique nous dit qu’on doit être à 30 nanogrammes (10 fois plus que la norme provinciale) dans la prochaine période d’attestation, ce sera 30 nanogrammes. Encore une fois, nous, on n’est pas des spécialistes sur les impacts de la santé des gens, c’est là où le travail se fait en collaboration avec le ministère de la Santé», a indiqué Benoit Charette.

Il a ajouté «qu’à terme», il faut «s’approcher» et même «atteindre» la norme provinciale fixée à 3 ng/m3, mais que «malheureusement les gouvernements précédents n’ont pas pris la situation au sérieux».

L’entente entre le gouvernement précédent et Glencore, propriétaire de la Fonderie Horne, présente une cible de 100 ng/m3, soit 33 fois plus que la norme québécoise.

Cette entente particulière se termine dans les prochains mois, donc le ministère de l’Environnement doit négocier une nouvelle cible et renouveler l’attestation d’assainissement de la fonderie cet automne.

Le docteur Boileau a indiqué que d’autres études doivent être réalisées dans les prochaines semaines concernant les émissions d’arsenic, mais aussi d’autres métaux dans l’air de Rouyn-Noranda, ce qui aidera à déterminer les taux d’émissions qui devraient être permis.

La PDG du CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue, Caroline Roy, a précisé que «le CISSS amorcera, au cours des prochaines semaines, une démarche visant à évaluer le niveau d’acceptabilité.

«Il y a certainement d’autres risques et il y a d’autres métaux également, donc une démarche est nécessaire. Des actions sont requises pour être capable de bien caractériser ces risques», a précisé Caroline Roy.

La fonderie dit avoir un plan concret

Dans un communiqué publié après la publication du rapport de l’INSPQ, Claude Bélanger, chef des opérations de cuivre en Amérique du Nord de Glencore, a indiqué que la fonderie avait un «plan concret pour réduire davantage ses émissions» et qu’elle est déterminée à «améliorer la situation».

Parmi les initiatives énumérées dans le communiqué de presse, Glencore affirme qu’elle procède à la «finalisation de l’aménagement d’une zone de transition entre la Fonderie et le quartier Notre-Dame pour réduire l’exposition des citoyens», qu’elle a mis en place les projets VELOX et PHENIX, «qui depuis près d’un an, visent la mise au point de procédés de traitement du cuivre uniques au monde, qui permettront la capture optimale des gaz et poussières» et qu’elle améliore les dépoussiéreurs existants et en ajoute de nouveaux.

Glencore a également indiqué qu’elle capte et traite «des émissions provenant de certains évents de toit du réacteur et du secteur de l’allée des convertisseurs et anodes».

Également, «la fonderie s’engage à agir en toute collaboration avec les autorités gouvernementales et de santé publique».

La Fonderie Horne est une usine de traitement du cuivre dont les activités l’amènent à rejeter de l’arsenic (As) et du cadmium (Cd), notamment, dans l’air.

Mardi, le premier ministre François Legault a affirmé que toutes les options sont sur la table, incluant la fermeture de la Fonderie Horne s’il le faut, pour protéger la santé de la population de Rouyn-Noranda

«Soyons très clair: s’il n’y a pas de plan de déposé par l’entreprise pour réduire les émissions à un niveau qui est sécuritaire pour la population, on n’exclut pas, effectivement, de fermer l’entreprise», a-t-il dit.

Mercredi, le docteur Luc Boileau a indiqué qu’il n’est pas justifié, pour le moment, de fermer l’entreprise, ne serait-ce que temporairement.

«Si vous me demandez, aujourd’hui, « y-a-t-il des chiffres qui nous invitent à dire qu’il faut fermer l’entreprise et éviter toutes émanations à compter d’aujourd’hui? », la réponse est non.»

Cinq scénarios étudiés par l’INSPQ

Cinq scénarios d’exposition sur 70 ans à compter de 1991 ont été construits par l’INSPQ, pour la population de la ville de Rouyn-Noranda, sur la base de différentes hypothèses de réduction des émissions dans les années à venir.  

«Pour tous les scénarios, le risque de cancer dû à l’effet combiné de l’arsenic et du cadmium dans l’air excède la valeur considérée comme négligeable au Québec, soit un cas de cancer en excès sur un million de personnes exposées vie-durant», souligne l’INSPQ. 

Selon les différents scénarios, ce risque varie entre 1 et 61 cas sur 100 000 pour l’ensemble de la ville de Rouyn-Noranda et entre 1 et 87 cas sur 100 000 pour le quartier Notre-Dame uniquement.

Dans son rapport, l’INSPQ soutient «qu’il importe de poursuivre les actions visant à l’abaissement des émissions d’arsenic et de cadmium en s’approchant autant que possible de la norme réglementaire» et que  «toutes les actions visant la réduction des émissions et de l’exposition auront un impact positif sur le risque cancérigène futur des plus jeunes et des prochaines générations». 

L’étude de l’INSPQ rapporte qu’au tournant des années 2000, la population a été exposée à des émissions qui ont parfois atteint 1000 ng/m3, donc 330 fois plus élevés que la norme provinciale.

Lundi, le Collège des médecins du Québec avait demandé au gouvernement d’agir pour protéger la santé des citoyens de Rouyn-Noranda contre les fortes concentrations atmosphériques d’arsenic émises par la fonderie.

La veille, 50 professionnels de la santé avaient signé une lettre ouverte exhortant Québec à s’attaquer au niveau élevé de pollution de l’air dans la ville.

Une annexe controversée

Radio-Canada a révélé récemment qu’en juillet 2019, le directeur national de santé publique de l’époque, le Dr Horacio Arruda, avait fait retirer d’un rapport une annexe faisant état d’une incidence de cancer du poumon beaucoup plus élevée à Rouyn-Noranda qu’ailleurs au Québec et invoquant l’arsenic comme facteur aggravant. 

Selon le compte-rendu d’une rencontre tenue dans la foulée de la présentation du rapport, le Dr Arruda avait retiré l’annexe après avoir rencontré les dirigeants de la fonderie. Il a récemment affirmé ne rien avoir à se reprocher concernant cette décision.