Assurance-médicaments: la volonté du gouvernement fédéral est mise en doute

OTTAWA — Des experts croient que le gouvernement fédéral n’a plus la volonté politique de lancer un véritable régime d’assurance-médicaments.

Marc-André Gagnon, un professeur de l’Université Carleton, à Ottawa, espérait bien que des investissements seraient annoncés dans le budget fédéral présenté mardi. Toutefois, il reconnaît ne pas avoir été surpris par l’absence de mention de la création d’une assurance-médicaments dans le document.

«Je ne constate plus une volonté politique», dit-il.

Le ministre fédéral de la Santé Jean Yves Duclos soutient que le gouvernement fédéral continue d’aller de l’avant avec son plan d’instaurer un régime d’assurance-médicaments. Toutefois, ce projet pourrait avancer de façon graduelle.

«Nous faisons des pas dans la bonne direction, mais nous devons procéder étape par étape», souligne-t-il. Le prix des médicaments devra baisser dans un premier temps et ils devront être plus accessibles.

Une des premières étapes a été l’annonce d’une Stratégie nationale sur les médicaments pour le traitement des maladies rares, le mois dernier. Ces mesures, soutenues par un investissement de 1,5 milliard $ de dollars sur 3 ans, visent à faciliter l’accès à des médicaments efficaces et abordables pour traiter les maladies rares dans tout le Canada.

Selon M. Duclos, il s’agit «d’un important signal de ce que nous voulons faire à long terme».

On ne peut nier que l’enthousiasme du gouvernement pour un régime national d’assurance-médicaments s’est atténué au cours des dernières années. Ce qui semblait être une politique importante en 2015 est rarement mentionné au Parlement de nos jours.

Le ministère fédéral de la Santé a dû composer avec la pandémie et la crise des soins qui a suivi. Il a également dû préparer un programme d’assurance dentaire pour les familles à petits et à moyens revenus, une condition formulée par le NPD pour qu’il accepte de ne pas renverser le gouvernement libéral minoritaire.

Tout comme des progrès réalisés vers un régime d’assurance-médicaments.

«Tout a été mis sur la glace au cours de la pandémie. Fondamentalement, nous ne sommes jamais revenus à ce débat sur un régime d’assurance-médicaments, même si le gouvernement a tous les outils en main», déplore le Pr Gagnon.

Avancer ne signifie que dépenser encore plus d’argent, ce que le gouvernement ne peut plus se permettre, dit Steven Lewis, un professeur de l’Université Simon-Fraser.

«On devra avoir besoin d’une nouvelle tranche d’argent. Alors je ne vois pas que ce projet se concrétisera bientôt parce que le déficit est plus élevé que prévu», souligne-t-il.

En 2017, le directeur parlementaire du budget avait estimé qu’un régime d’assurance-médicaments aurait coûté 19,3 milliards $ s’il avait été mis en place en 2015. Le coût aurait augmenté à 22,6 millions au cours des années. En dollars d’aujourd’hui, ce coût s’élèverait de 23 milliards à 27 milliards $.

Dans un même temps, le prix total des médicaments payé par les gouvernements, les compagnies d’assurance et les Canadiens devraient diminuer de 4,4 milliards en raison d’un meilleur pouvoir d’achat.

Le Pr Lewis dit qu’il est difficile d’estime les coûts de l’assurance-médicaments puisqu’on ignore les plans exacts du gouvernement. Par exemple, le gouvernement pourrait décider de taxer les employeurs qui offrent cet avantage social pour récupérer de l’argent.

En plus des coûts, Marc-André Gagnon et Steven Lewis croient que le gouvernement fédéral pourrait rencontrer une forte opposition de l’industrie pharmaceutique.

La Stratégie nationale sur les médicaments pour le traitement des maladies rares, notamment des modifications à la façon dont les prix sont établis, a été accueillie avec une certaine résistance par l’industrie. Des groupes s’inquiètent que des prix moins élevés nuiraient à l’accessibilité à de nouveaux médicaments au pays.

«Un authentique régime totalement inclusif d’assurance-médicaments fera des gagnants et des perdants au sein de l’industrie, signale le Pr Lewis. Les négociations sur l’établissement des prix seront plus fermes et la surveillance des médicaments non prescrits sera plus étroite.»

Mais certains reprochent au gouvernement de se traîner les pieds, M. Duclos préfère parler de l’importance de bien établir les bases d’un programme.

«[L’assurance-médicaments] fonctionne mieux quand il existe une meilleure accessibilité et une meilleure connaissance des produits utilisés au Canada», dit-il.