Des députés fédéraux réclament un encadrement strict de la reconnaissance faciale

OTTAWA — Un comité de la Chambre des communes recommande un moratoire sur l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale par la police fédérale et les entreprises canadiennes, à moins qu’il n’y ait une autorisation du tribunal ou une consultation avec le commissariat à la protection de la vie privée.

Dans un rapport déposé mardi, le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique presse également le gouvernement d’élaborer un cadre réglementaire concernant les utilisations, les interdictions, la surveillance et la protection de la vie privée à l’égard de cet outil en émergence.

La technologie de reconnaissance faciale permet de comparer l’image d’un visage à une base de données de millions de photos, dans le but d’identifier un individu.

Les députés membres du comité affirment que des protections appropriées de la vie privée devraient aborder des questions telles que l’exactitude, la conservation et la transparence des initiatives de reconnaissance faciale. Ils recommandent aussi une stratégie globale portant sur le consentement éclairé des Canadiens à l’utilisation de leurs renseignements personnels.

Les députés veulent également que le gouvernement modifie la loi sur la protection de la vie privée afin d’interdire au secteur privé la capture d’images de Canadiens à partir d’internet ou d’espaces publics dans le but d’alimenter des bases de données de technologie de reconnaissance faciale ou des algorithmes d’intelligence artificielle.

Plusieurs personnes qui se sont présentées devant le comité ont reconnu que la reconnaissance faciale peut parfois être utile, comme pour autoriser un paiement ou pour garder verrouiller des informations médicales dans un téléphone cellulaire.

Ces personnes ont toutefois prévenu que cette technologie s’accompagne de quelques inconvénients. Notamment, elle peut mener à plus d’erreurs d’identification pour les personnes noires et asiatiques, elle peut être utilisée pour faire de la surveillance illégale et les lois qui l’encadrent ne sont pas à jour. Les membres du comité ont aussi été prévenus qu’il y a un manque de transparence de la police et des agences de renseignement.

«Faute d’encadrement approprié, la technologie de reconnaissance faciale et d’autres outils d’intelligence artificielle pourraient causer des dommages irréparables pour certains individus», souligne le rapport.

Ces nouvelles technologies doivent donc être utilisées à bon escient et doivent être encadrées par des lois strictes, selon les élus membres du comité.

«Puisque ce cadre législatif n’existe pas à l’heure actuelle, une pause nationale devrait être imposée à l’égard de l’utilisation de la (technologie de reconnaissance faciale), particulièrement en ce qui concerne les services policiers», écrivent les députés dans leur rapport.

Le Comité «encourage fortement» le gouvernement à mettre ses recommandations en œuvre «le plus rapidement possible».

Un rapport attendu

Le coordonnateur national de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, Tim McSorley, a accueilli favorablement le rapport. Il a ajouté que de nombreux intervenants qui s’intéressent à la question de la vie privée liée aux nouvelles technologies réclamaient des gestes du gouvernement fédéral depuis deux ans.

«Nos espérons que ce nouveau rapport va enfin mener à des réformes des lois qui sont nécessaires pour encadrer l’utilisation de la reconnaissance faciale et, plus globalement, de toute l’intelligence artificielle», a souligné M. McSorley, qui s’est présenté devant le comité en mars.

En mai dernier, les commissaires à la protection de la vie privée du Canada ont estimé qu’il devrait être illégal pour la police d’utiliser la technologie de reconnaissance faciale pour surveiller les personnes participant à des manifestations pacifiques.

Dans une déclaration commune, les organismes fédéraux, provinciaux et territoriaux de protection de la vie privée ont également demandé l’interdiction de tout déploiement par les corps policiers de cette technologie qui pourrait entraîner une surveillance de masse.

Les commissaires à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et du Québec ont aussi ordonné à l’entreprise de reconnaissance faciale Clearview AI de cesser de recueillir, d’utiliser et de divulguer des images de personnes sans leur consentement.

Une enquête menée par les trois organismes de surveillance provinciaux et leur homologue fédéral a révélé en février dernier que la technologie de Clearview AI entraînait une surveillance massive des Canadiens et violait les lois fédérales et provinciales régissant les renseignements personnels.