Dominique Anglade dénonce le double standard imposé aux femmes politiques

QUÉBEC — Pas facile la vie de politicienne, encore moins si on dirige un parti. En politique, les femmes sont jugées plus durement, sur leur apparence ou leurs états d’âme, se sentent obligées d’être parfaites en tout temps, sous tous rapports, n’ont pas droit à l’erreur ni à la colère, et doivent faire leurs preuves constamment. Double standard. Deux poids, deux mesures. Encore aujourd’hui, en 2022.

Et si à titre de cheffe de l’opposition officielle on doit aussi affronter tous les jours le premier ministre François Legault au parlement, ça ne s’arrange pas.  

Cette sortie féministe, comme un cri du coeur, provient de la cheffe du Parti libéral du Québec (PLQ), Dominique Anglade, persuadée que le fait d’être une femme est loin d’être étranger aux déboires rencontrés par son parti, en chute libre dans les sondages, et à l’attitude du premier ministre à son égard.

«C’est quelqu’un de paternaliste, c’est sûr», dit-elle à propos de M. Legault, au cours d’une longue entrevue à La Presse Canadienne, dans un café de Québec, au terme d’une semaine difficile pour son parti, à la suite de l’élection complémentaire dans Marie-Victorin, lundi, alors que le PLQ a dû se contenter d’une cinquième place et d’un humiliant 7 % d’appui populaire.

Mme Anglade n’a pas du tout apprécié le commentaire de M. Legault, le soir de la victoire de son parti dans Marie-Victorin, quand il a dit que les Québécois n’aimaient pas la voir «lancer de la boue» dans le dossier du CHSLD Herron, où sont morts dans des conditions atroces des dizaines d’aînés lors de la première vague de la pandémie. «On est rendu dans les égouts!», avait dit alors M. Legault, visiblement agacé par les questions de la cheffe de l’opposition officielle, jour après jour.

Cette dernière trouve que le premier ministre a dépassé les bornes, ne lui réservant pas «un traitement juste des faits». Est-il pour autant paternaliste, condescendant, voire sexiste? «Absolument», répond Mme Anglade

On compte «combien de chefs d’opposition dans les 20 dernières années qui ont été traités de chialeux?», alors qu’elle si elle se permet de critiquer le gouvernement «de manière ferme, (on dira) ou bien elle est agressive, ou bien chialeuse», au lieu de ferme ou déterminée. 

«Il est là le biais», dans le regard différent, plus dur, négatif, s’il s’agit d’une femme, dit-elle, refusant pour autant de se poser en victime.

Cette attitude la contrarie beaucoup, d’autant plus qu’elle estime être toujours en contrôle d’elle-même à l’Assemblée nationale, convaincue qu’on ne lui pardonnerait pas le moindre faux pas, une parole maladroite, un sursaut de colère. 

Il lui arrive pourtant d’éprouver de la colère en entendant certaines réflexions du premier ministre, comme lorsqu’il a dit en Chambre, en février, à micro fermé, que le président de l’Assemblée nationale, François Paradis, était Québécois puisqu’il était caquiste. Ce jour-là, elle dit avoir échappé quelques jurons, mais a ravalé sa colère, a décidé devant les médias de «ne rien laisser paraître», sûre de passer pour une hystérique si elle avait livré le fond de sa pensée. Au moindre haussement de ton, elle passera pour agressive, ce qui l’agace.

Elle estime que M. Legault traite différemment hommes et femmes dans son entourage. «C’est clair qu’il passe l’éponge plus facilement pour les hommes», juge-t-elle, faisant allusion aux trois femmes tassées du conseil des ministres depuis le début du mandat, MarieChantal Chassé, Sylvie D’Amours et Marie-Ève Proulx. Aucun ministre masculin n’a subi le même sort, alors que certains ont éprouvé des difficultés.

Elle cite le cas du ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, rabroué à répétition par la Commissaire à l’éthique, mais toujours en poste. «Moi, je n’aurais jamais pu faire ce que Pierre Fitzgibbon a fait» et rester ministre, dit cette ex-ministre de l’Économie dans le cabinet Couillard, sûre qu’elle ne serait «pas passée au travers», parce qu’on n’admet pas qu’une femme politique puisse se retrouver en eaux troubles.

«J’ai bien moins droit à l’erreur» qu’un homme politique, estime la cheffe libérale, sûre que les femmes, contrairement aux hommes, n’ont aucun «passe-droit».

Pour inverser la tendance, elle soutient qu’il faudrait faire «toute la place» au leadership politique féminin, et que cela fasse boule de neige, se reflétant dans toutes les sphères de la société.

Le syndrome de la femme parfaite

Sachant qu’elles n’ont pas de marge de manoeuvre, les femmes politiques s’efforcent d’être rien de moins que parfaites, constate la leader libérale.

Elle dit être atteinte, comme tant d’autres femmes ayant tenté de faire leur marque en politique, du «syndrome de celle qui ne doit pas faire d’erreur, ça je l’ai».

D’où sa prudence dans ses interventions.

Sauf que ce réflexe, «ça te limite dans tout ce que tu peux être, dans tout ce que tu peux dire, dans la manière de t’exprimer». Bref, cela «t’empêche d’être ce que tu es naturellement».

Elle dit d’ailleurs observer «une dichotomie entre la personne que je suis et la perception» des gens à son égard. Un fossé entre l’image publique et la vraie personne.

«C’est quand même pas totalement normal que chaque fois que je rencontre quelqu’un», le commentaire de la personne est le suivant: «c’est pas du tout comme ça que je vous percevais».

À l’approche de l’échéance électorale, celle qui dirige son parti depuis bientôt deux ans entend être beaucoup plus présente sur le terrain, pour faire découvrir la «vraie» Dominique Anglade aux électeurs.

Les régions ont massivement boudé le PLQ en 2018. Elle mise notamment sur sa Charte des régions pour reconquérir le vote des francophones, en plaidant pour une décentralisation accrue des pouvoirs. Une première annonce à ce sujet sera faite jeudi à Trois-Rivières.

La cheffe libérale dit vouloir revenir aux valeurs fondamentales du parti, dont le développement économique. Sa vision des choses consistera à intégrer développement économique, création de richesse et lutte aux changements climatiques en un tout cohérent.

Elle est bien consciente qu’elle n’a que quelques mois devant elle pour remonter la pente. «Le défi est énorme, mais emballant», dit-elle.