Josée Scalabrini: statistiques, paperasse, «la profession a tellement changé»

MONTRÉAL — Alors qu’elle prend sa retraite, Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement, appelle à réfléchir collectivement à l’intégration en classe régulière des enfants en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage.

Dans une entrevue de fond avec La Presse Canadienne, la présidente de la fédération qui représente 95 000 enseignants du primaire, du secondaire et de la formation professionnelle a évoqué cette délicate question: jusqu’où il faut aller dans l’intégration en classe régulière?

Lorsque l’intégration en classe régulière des élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage avait été décidée, il y a plusieurs années, «on n’était pas contre», assure la présidente de la FSE, affiliée à la CSQ.

«On nous avait toujours dit qu’il y aurait de l’accompagnement, du soutien» et qu’on allait «permettre qu’on respecte le droit de tous les élèves, donc le droit des autres élèves d’apprendre aussi», se rappelle Mme Scalabrini.

Or, en réalité, «on a vécu l’intégration des élèves en même temps qu’on vivait les grandes coupures. Donc, il y a eu de l’intégration sauvage», tranche-t-elle.

Bien des enseignants se sont retrouvés avec plusieurs «plans d’intervention» par classe pour ces élèves ayant des besoins en soutien différents, et pas suffisamment de professionnels pour les épauler.

Ces missions données à l’école

Au-delà de la composition de la classe, il y a toutes ces missions sociales qu’on donne aujourd’hui à l’école, en plus de l’enseignement des matières.

«L’école est devenue la solution à tous les problèmes de société. Arrive un scandale, arrive une difficulté? Tiens, ça prend un nouveau cours! Il faut mettre ça dans le curriculum — un curriculum qui est déjà débordé», déplore Mme Scalabrini.

«C’est rendu maintenant — les parents n’ont pas le choix, c’est notre société qui est rendue comme ça — mais qu’on dépose des enfants à l’école quand il est quasiment 6h30 le matin puis on vient les chercher à 6h le soir… La seule chose qu’on ne fait pas, présentement, c’est de donner les bains, puis de mettre les pyjamas. Est-ce qu’on s’en va vers là avec la société qu’on vit? Faut se poser de grandes questions», lance la dirigeante syndicale.

La profession a changé

Comment expliquer qu’on peine à recruter des enseignants, qu’il a fallu écourter les formations et recruter des enseignants non légalement qualifiés, alors qu’il s’agit d’une profession somme toute bien rémunérée?

C’est simple, répond Mme Scalabrini: «la profession a tellement changé» au fil des ans que ça en a découragé plusieurs.

Quand on choisit de devenir enseignant, relate-t-elle, on le fait «par passion» parce qu’on veut diffuser du savoir, travailler aux apprentissages, stimuler un jeune, suivre son cheminement.

Or, «c’est devenu tellement bureaucratisé, tellement concentré sur de la paperasse, des statistiques et toute autre tâche connexe (…) qu’ils ne peuvent plus faire ce pour quoi ils sont allés étudier: enseigner». Et plusieurs quittent dès les premières années de leur carrière.

«L’évaluation n’est plus au service des apprentissages de l’élève. Notre évaluation ne sert plus à nous guider dans l’accompagnement qu’on doit faire de nos élèves. L’évaluation est devenue des grandes listes de statistiques qu’il faut remplir pour servir un gouvernement», déplore la présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement.

La retraite

Que fera Josée Scalabrini après sa retraite le 30 juin?

«Je vais prendre des vacances — une chose que je n’ai pas beaucoup eue dans les 16 dernières années. Parce que quand tu es une passionnée comme moi, tu restes toujours accrochée à ce que tu dois faire.»

Aussi, «je vais retrouver Josée. Parce que j’ai le sentiment que Josée, je l’ai perdue dans les dernières années. Elle s’est donnée beaucoup à son travail».

«Après ça, qu’est-ce qu’on fera? C’est l’avenir qui nous le dira», conclut la présidente de la FSE.