Le Conseil d’État genevois rejette la candidature d’Éric Bauce au rectorat

MONTRÉAL — Les espoirs du Québécois Éric Bauce de devenir recteur de la prestigieuse Université de Genève, en Suisse, se sont éteints. Mercredi matin, le Conseil d’État de Genève a fait savoir, par communiqué, qu’il n’entérinerait pas la décision de l’Assemblée universitaire de nommer M. Bauce à la succession du recteur actuel, Yves Flückiger, censé quitter ses fonctions à la mi-juillet.

Ce faisant, la procédure de sélection pour nommer un nouveau recteur devra reprendre depuis le début. Rappelons que le processus initial s’était échelonné de juin 2022, date limite du dépôt des candidatures, à plus tôt ce mois-ci avec l’annonce de la nomination de M. Bauce. Celui-ci s’était démarqué des huit autres aspirants au poste, dont le Belge Jean-Michel Rigo, de l’Université de Hasselt, et Jérome Lacour, doyen de la Faculté des sciences et candidat interne à l’Université de Genève.

Déjà, l’annonce d’un dirigeant étranger, nord-américain de surcroît, avait soulevé la controverse alors que plusieurs voix ont exprimé leur désir de voir un recteur suisse, ou à tout le moins européen, prendre les rênes de l’institution.

«En dépit des qualités du candidat et indépendamment de sa nationalité, le Conseil d’État ne peut entériner cette proposition dans le contexte actuel et au vu des enjeux et défis auxquels les hautes écoles suisses doivent faire face», a fait valoir l’institution dans son communiqué.

Le Conseil fait notamment état de «l’érosion des relations bilatérales entre la Suisse et l’Union européenne» et la situation internationale actuelle qui «engendre beaucoup d’inquiétudes» et laisse entendre que M. Bauce, parce qu’il n’est pas actuellement en Europe, n’a pas la connaissance des systèmes suisses nécessaires à cette sortie de crise.

«Dans ce contexte tendu, la coordination au niveau national doit être renforcée dans le but d’assurer les moyens nécessaires à la formation et la recherche. C’est une condition essentielle pour que les hautes écoles du pays restent concurrentielles», fait valoir l’organe gouvernemental, qui appuie sur la nécessité de détenir «une connaissance fine des mécanismes de financement de l’enseignement et de la recherche qui permettent la mobilisation des leviers institutionnels et politiques idoines» dans ce contexte, de même qu’une capacité de mobiliser un réseau «cantonal, national et international».

Selon des propos rapportés par le site Swiss Info, la conseillère d’État Anne Emery-Torracinta avait fait valoir que le futur recteur devait «connaître le système de formation helvète et disposer d’un réseau» afin de «défendre la place des hautes écoles en Suisse et en Europe». Elle avait également mentionné que dans le contexte actuel, «le nouveau recteur devait être immédiatement opérationnel», ce qui n’était pas le cas de M. Bauce.

Le président du Conseil d’État, Mauro Poggia aurait pour sa part déclaré que «l’esprit provincial, c’est aussi penser que l’air frais vient toujours de l’extérieur», rapporte Swiss Info.

L’âge de M. Bauce, qui a 62 ans, semblait aussi problématique puisque le candidat aurait dû bénéficier d’une dérogation pour être nommé, en plus de ne pas pouvoir effectuer un deuxième mandat, ajoute le Conseil d’État.

Controverse

L’Assemblée de l’Université de Genève avait annoncé la sélection de M. Bauce, professeur à l’Université Laval, à Québec, par communiqué le 11 janvier dernier. Elle y faisait état du «projet fédérateur et porteur d’avenir» présenté par le candidat Bauce, «dans la continuité des efforts engagés par le Rectorat actuel, non seulement en matière d’excellence et de rayonnement de l’Université, mais également en faveur d’un progrès social, environnemental et écologique, en collaboration avec les acteurs politiques locaux et internationaux».

L’institution qualifiait aussi l’heureux élu de «personne au profil scientifique excellent», «possédant à la fois d’indiscutables capacités de gestion et de direction à haut niveau dans les institutions de recherche et d’enseignement, une grande capacité à mobiliser un réseau national et international et un engagement fort pour l’excellence académique».

Déjà, la possibilité de nommer un étranger faisait controverse. «L’Assemblée déplore les prises de position publiques et les ingérences dans un processus mené selon les dispositions légales, ainsi que la forte pression médiatique exercée durant la procédure. Ces pressions, inacceptables, violent l’autonomie de l’Université telle que prévue par la loi. En dépit de ces pressions, l’Assemblée a poursuivi son travail d’évaluation et a pris sa décision en toute indépendance», a souligné l’Université dans son communiqué.

En entrevue avec La Presse canadienne la semaine dernière, M. Bauce se disait bien au fait des voix discordantes face à sa nomination, mais ne tenait rien pour acquis.

«Je peux comprendre les inquiétudes et les appréhensions qui ont été exprimées, mais je respecterai la décision qui sera prise, avait-il alors déclaré. Je suis néanmoins extrêmement honoré d’avoir été choisi par l’université.»

«Défiance»

Dans un communiqué adressé aux membres de la communauté universitaire, l’Assemblée universitaire a indiqué prendre «acte avec gravité» de la décision.

«Le signal envoyé remet en question l’esprit de la loi sur l’Université de 2008, approuvée par référendum à plus de 70% des voix, loi qui a introduit l’autonomie de l’Université. Cette décision dénote une défiance envers une Assemblée participative, représentante des différents corps de l’Université, qui a mené une procédure dans le strict respect du cadre légal, et opéré un choix en toute indépendance », peut-on lire dans la courte déclaration, où on mentionne que «l’Assemblée se réunira rapidement afin de discuter des conséquences de cette décision.»

M. Bauce est professeur titulaire au Département des Sciences du bois et de la forêt depuis 1989 à l’Université Laval, où il oeuvre à la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique. Il a tenté par deux fois d’accéder au rectorat de son alma mater, dont il détient un baccalauréat en génie forestier et une maîtrise en entomologie forestière. Il s’est aussi vu décerner un doctorat honorifique par l’Université de Bordeaux en 2015.

Il a toutefois occupé les fonctions de vice-doyen recherche et études supérieures à sa faculté, de septembre 1998 à juin 2007, en plus d’avoir été vice-recteur exécutif et au développement de l’Université Laval entre juillet 2007 et juillet 2017. M. Bauce a aussi été vice-recteur administration et finance de janvier 2009 à janvier 2010.

Le prochain mandat au rectorat s’étendra sur les années 2023 à 2027. Advenant que le processus de sélection du nouveau recteur n’empiète sur ce mandat, le recteur sortant devra demeurer en poste.

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Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.

Note aux lecteurs: Dans une première version transmise mercredi, La Presse Canadienne a erronément indiqué qu’il s’agissait du Conseil d’État suisse. Il fallait plutôt lire: Conseil d’État genevois ou de Genève.