Les conservateurs et le Bloc accusés d’obstruction au comité des langues officielles

OTTAWA — C’est l’histoire des bâillonneurs bâillonnés. Depuis sept rencontres, les députés qui siègent sur le comité parlementaire qui se penche sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles se sont empêtrés dans une impasse procédurale, si bien que le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique (NPD) accusent désormais la minorité formée du Parti conservateur et du Bloc québécois de faire de l’obstruction parlementaire.

La saga au comité permanent des langues officielles a débuté il y a près d’un mois lorsque les libéraux ont déposé sans crier gare une motion pour accélérer l’adoption de la réforme en limitant le temps de débat par une série d’échéanciers.

Leur objectif était de faire sortir le projet de loi de la Chambre des communes d’ici les Fêtes. Or, la motion ne cesse d’être débattue, amendée et sous-amendée, chaque fois en plusieurs points, notamment parce que certaines dates sont passées.

Malgré leur majorité, les libéraux et la députée néo-démocrate Niki Ashton, qui les appuient, sont pris au piège face à des adversaires qui utilisent leur marge de manœuvre.

Encore lors de la séance de mardi, le porte-parole bloquiste en matière de langues officielles, Mario Beaulieu, a rappelé au président du comité que «vous ne pouvez pas m’empêcher, empêcher un député de parler, si c’est relié, même de façon même éloignée, à la question en jeu».

Et M. Beaulieu, qui ne digère pas la proposition de réforme, la jugeant contraire aux intérêts du Québec, a tenu le fort pendant presque une demi-heure cette fois-ci avant que le président, René Arseneault, qui avait mis le député en garde à de nombreuses reprises de s’en tenir au sujet et de cesser de se répéter, a jugé que ça en était trop et a passé la parole au vice-président conservateur, Joël Godin. «Je reprends un droit de parole», a renvoyé illico M. Beaulieu.

Au cours des dernières semaines, le député a jugé bon de donner ce qui a été qualifié de «cours d’histoire», allant jusqu’à traiter de Lord Durham, où de discuter de thèmes de juridiction provinciale. À certains moments, de toute évidence, aucun autre député, à l’exception du président du comité, ne l’écoutait. Tous ceux présents en personne étaient en train de consulter leur téléphone ou de discuter avec du personnel politique, a constaté La Presse Canadienne.

M. Godin, qui avait précédemment prévenu le président qu’il est «bien mieux» avec son collègue du Bloc, laissant entendre avoir lui-même une expertise à étirer les sauces, a réveillé la salle en proposant que tous mettent «la partisanerie» de côté et que se tienne une réunion rassemblant un élu de chaque formation pour tenter de dénouer l’impasse.

Les libéraux ont fait preuve de scepticisme, mais ont finalement accepté. Le député Francis Drouin a notamment noté qu’«il y a de l’obstruction» au comité de la sécurité publique et nationale ainsi qu’à celui du patrimoine canadien et a dit croire qu’«il y a un ordre d’en haut d’obstruer tous les comités», ce à quoi s’est vigoureusement objecté M. Godin.

Pas de consensus

Ainsi, la salle s’est vidée pour cette rencontre à huis clos et, une heure plus tard, les députés ont confirmé à leur sortie ne pas en être arrivés à s’entendre.

L’exaspération de Marc Serré, le secrétaire parlementaire de la ministre des Langues officielles, était palpable. «Ça fait sept sessions!, a-t-il lancé en mêlée de presse. C’est complètement une perte de temps. (…) C’est de l’obstruction parlementaire avec des sous-amendements.»

M. Serré a admis craindre pour l’avenir même du projet de loi puisque même lorsqu’il sera adopté par la Chambre des communes, il devra poursuivre son chemin au Sénat et les députés devront rédiger le règlement. «On est en situation minoritaire. Comme vous le savez, en général, les gouvernements minoritaires durent 18 mois.»

Tour à tour, les représentants du Parti conservateur et du Bloc ont déclaré qu’ils refusent d’être «bâillonnés».

«Il y a des gens qui font de la petite politique sur le dos du français. Puis, ça, c’est inacceptable», a soutenu Joël Godin.

Mario Beaulieu a fait valoir qu’en prenant la parole durant les dernières séances, il force la tenue d’un «débat» au comité, mais également dans les médias quant à l’idée que la Loi sur les langues officielles est «un des principaux facteurs d’anglicisation du Québec».

Le projet de loi d’Ottawa consacre un nouveau droit de travailler et d’être servi en français au Québec et dans les régions à forte présence francophone des autres provinces dans les entreprises privées de compétence fédérale, comme les banques, les compagnies aériennes ou ferroviaires.

Or, le Québec veut plutôt assujettir ces entreprises installées sur son territoire à la Charte de la langue française qui, elle, ne donne pas un choix et fait du français la seule langue de travail.

«Qu’est-ce qu’il nous reste comme outils», a demandé M. Beaulieu aux journalistes qui voulaient savoir si 13 autres heures de débats sur la motion sont à prévoir. «Disons qu’ils ne peuvent pas non plus outrepasser les règlements parlementaires. (…) On ne lâchera pas le morceau», s’est-il contenté de dire.

Pour le NPD, les bloquistes et les conservateurs «retardent» le projet de loi, mais les libéraux sont aussi à blâmer pour avoir tardé à le présenter. Mme Ashton, qui souhaite ajouter des réunions a dit souhaiter voir «de la volonté politique (…) pour faire avancer un projet de loi historique dont on a besoin aussitôt que possible».

Les libéraux pourraient forcer la Chambre des communes à prendre la situation en main, mais cela nécessiterait d’avoir l’appui du NPD, qui ne semble pas chaud à l’idée. «On pense toujours que c’est possible de faire ce travail au comité», a noté Mme Ashton lorsque la question lui a été posée.

Bref, faute d’une entente, les délibérations se poursuivront jeudi. On en est à entendre M. Beaulieu s’exprimer sur le sous-amendement numéro 3 de Mme Ashton. Et personne n’est capable de dire si on sera encore dans ce même type de débat dans sept autres séances.