Les hauts et les bas de la cohabitation avec un virus mortel

MONTRÉAL — Au moment d’entreprendre l’année 2022, le thème sur toutes les lèvres était celui d’«apprendre à vivre avec le virus» de la COVID-19. Douze mois plus tard, on constate que la cohabitation avec un virus potentiellement mortel s’avère plutôt houleuse et que les conséquences peuvent être lourdes.

Après deux ans de lutte acharnée contre les vagues successives d’infections à grands coups de mesures restrictives de toutes sortes, les leaders politiques plaidaient pour l’adoption d’une «nouvelle normalité» en adaptant nos comportements à la présence du virus du SRAS CoV-2. 

Ainsi, malgré la fulgurante propagation du variant Omicron et des sous-variants qui ont suivi, la santé publique annonce des assouplissements à ses contraintes dès la fin janvier. La fin de l’obligation du port du masque dans les lieux publics viendra ensuite au printemps.

En réaction, plusieurs experts ont appelé régulièrement à la prudence, craignant de voir la population interpréter cette «nouvelle normalité» comme un retour pur et simple à la vie d’avant. Dans les faits, le port du masque a été grandement délaissé et la triple épidémie de l’automne (COVID-19, influenza, virus respiratoire syncytial) laisse croire que de nombreuses personnes continuent d’adopter des comportements à risque lorsqu’elles présentent des symptômes grippaux.

Les données compilées par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) confirment que la «cohabitation avec le virus» entraîne une plus grande exposition au risque et beaucoup plus d’infections. En date du 18 décembre, on avait recensé 633 802 infections confirmées en 2022, soit presque l’équivalent des deux premières années de pandémie combinées (641 777 cas). Un nombre d’autant plus spectaculaire que l’accès aux tests de dépistage est restreint depuis le début de l’année.

En toute cohérence, le nombre d’hospitalisations liées à la COVID-19 a lui aussi bondi. En date du 18 décembre, il s’élevait à 49 590 nouvelles admissions, soit plus que lors des deux premières années de la crise sanitaire (30 043 admissions).

Puis, comme le nombre de patients hospitalisés augmente, le nombre de décès aussi. En date du 18 décembre, ce sont 5688 Québécois qui ont succombé à la COVID-19 en 2022, ce qui représente une hausse par rapport à 2021.

Leçons oubliées

Aux yeux du professeur de médecine sociale et préventive à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, Benoît Mâsse, il y a clairement «des choses qu’on n’a pas apprises». Il s’inquiète du temps de réaction des autorités face à la montée des cas d’influenza, cet automne, alors qu’on aurait dû avoir développé de meilleurs réflexes après deux ans de pandémie.

«S’il y a une chose qu’on aurait dû apprendre, c’est qu’il ne faut pas attendre que les urgences soient pleines pour agir», déplore-t-il. 

Sur le plan individuel, les Québécois doivent aussi adapter leurs comportements pour que la cohabitation fonctionne.

«Chacun de nous est responsable de réduire la transmission communautaire, insiste le virologue. Si on a des symptômes, il faut rester chez soi, si on a moindrement des doutes qu’on est contagieux, il faut s’isoler.»

Le port du masque doit aussi faire partie de l’équation et devenir un geste banal dans les lieux publics lorsqu’on affiche des symptômes ou qu’on a des doutes. 

«Ce ne sont pas des réflexes qu’on avait avant, mais c’est ça vivre avec le virus», martèle-t-il en concédant que les changements de comportements sociétaux prennent du temps. Au fil des générations, on a vu des campagnes contre le tabac, contre l’alcool au volant ou en faveur du port de la ceinture de sécurité. Chaque fois, le progrès s’est observé sur de longues périodes.

Vivre avec les conséquences

L’adaptation de la vie quotidienne n’est pas le seul inconvénient de la «nouvelle normalité», comme le souligne Benoît Mâsse: «Vivre avec le virus, c’est aussi vivre avec les conséquences.» Et l’une des graves conséquences prend la forme d’une épidémie de maladie chronique à l’intérieur de la pandémie virale.

De plus en plus de spécialistes de la santé ainsi que de dirigeants politiques s’inquiètent de la forme chronique de la COVID-19 que l’on nomme communément la COVID longue.

À l’occasion de la publication d’un aperçu du rapport à venir du Groupe de travail sur la condition post-COVID-19, le 14 décembre dernier, la conseillère scientifique en chef du Canada révélait que ce sont 1,4 million de Canadiens qui ont rapporté des symptômes de COVID longue jusqu’ici.

La Dre Mona Nemer a confirmé que de plus en plus de gens disent souffrir entre autres de douleurs musculaires, d’essoufflement, de fatigue extrême, de brouillard mental, de troubles gastro-intestinaux ou de palpitations cardiaques plus d’un mois après avoir contracté une infection au virus du SRAS CoV-2.

Si l’on ignore toujours les mécanismes qui mènent au développement de la forme chronique, on sait que les femmes sont deux fois plus à risque que les hommes et que cette affection bouleverse la vie des malades.

«Des gens ont confié se sentir prisonniers de leur corps, isolés et incompris par leur entourage. Plusieurs ont eu des difficultés à obtenir des soins ou des services. La majorité a perdu son emploi en raison de cette incapacité», a rapporté la Dre Nemer en conférence de presse.

Citant des estimations américaines, elle a mentionné que dix millions de personnes atteintes de la COVID longue coûteraient environ 3700 milliards $ US à la société en perte de qualité de vie, en perte de revenus et en poids sur le système de santé.

Dans une récente étude publiée dans le Journal de l’Association pour la microbiologie médicale et l’infectiologie Canada, le Dr Alain Piché et ses collègues de l’Université de Sherbrooke ont démontré une forte prévalence de la COVID longue chez les personnes infectées par les sous-variants de la lignée Omicron.

Ces chercheurs ont observé que 47,2 % des participants de leur étude ressentaient encore des symptômes plus d’un mois après avoir obtenu un résultat positif à la COVID-19. Une donnée alarmante alors que les sous-variants BQ.1 et BQ.1.1 ont pris le relais à titre de souche la plus virulente. Deux nouveaux venus qui proviennent de la grande famille Omicron.

L’année 2023 pourrait donc avoir des airs de variation sur un même thème, alors que l’on devra apprendre à vivre avec la COVID longue.

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