Une base de données pour les personnages avec un handicap, sourds ou neurodivergents

MONTRÉAL — Qui sont les personnages québécois vivant avec un handicap, sourds ou neurodivergents? Dans quels films, séries, romans graphiques peut-on les trouver et, surtout, comment y sont-ils représentés?

Ce sont ces questions qui ont motivé les chercheurs de la Chaire de recherche du Canada sur les médias, les handicaps et les (auto)représentations à créer une base de données pour y recenser les fois où l’un de ces personnages est apparu dans nos récits, de 1980 à 2020.

Pour l’instant, 214 œuvres québécoises ont été ajoutées, incluant des documentaires, pour un total de 541 personnages. Il ne s’agit pas d’une revue exhaustive, comme des copies d’archives de certaines séries sont introuvables.

«Ce qu’on observe, c’est qu’il y a une augmentation de plus de 200 % entre les premières décennies, de 1980 jusqu’à 1999, versus 2000-2019, remarque le professeur Mouloud Boukala, titulaire de la Chaire de recherche. Il y a de plus en plus de productions médiatiques qui présentent des personnages, et il y a de plus en plus de personnages au sein des productions médiatiques.»

Par contre, moins du tiers (29 %) de ces personnages fictionnels sont joués par un interprète ayant les mêmes caractéristiques, et ce, dans seulement le quart (26 %) des productions.

Paul Lupien, président du conseil d’administration de la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec, fait valoir que «si on était une autre clientèle, on appellerait ça de l’appropriation culturelle», citant les polémiques qui entourent la pratique du «blackface».

«Les gens pourraient même avoir à un moment donné une mauvaise opinion des personnes en situation de handicap», déplore-t-il, alors qu’employer des acteurs de la communauté, «ça serait beaucoup plus représentatif et ça ouvrirait les yeux aux gens en même temps».

Il soulève aussi qu’«il y a des comédiens en situation de handicap qui sont membres de l’Union des artistes, mais qui ne travaillent pas parce qu’on ne les engage pas. Ils ont droit au travail comme tout le monde.»

L’Enquête canadienne sur l’incapacité de 2017, réalisée par Statistique Canada, indique qu’une personne sur cinq de 15 ans ou plus «présentait au moins une incapacité qui limitait ses activités». En 2017, le revenu annuel médian était de 39 000 $ au Canada. Pour les personnes vivant avec un handicap considéré sévère, la médiane était plutôt de 19 200 $.

Le pouvoir de l’image

Si on regarde de l’autre côté de la caméra, le constat est encore plus frappant: seulement 4 % des œuvres de fiction mettant en scène des personnages en situation de handicap, sourds ou neurodivergents ont été créées par quelqu’un qui fait ouvertement partie de l’un de ces groupes.

«Les personnes sourdes, les personnes vivant avec un handicap, les personnes neurodivergentes gagneraient à être rencontrées par des producteurs, par des diffuseurs, par des réalisateurs, qui devraient les inclure dès le processus d’idéation, soutient le Pr Boukala. Souvent, on écrit quelque chose sur le handicap, sur la sourditude ou sur la neurodiversité et on n’a aucune connaissance du vécu de ces personnes.»

Selon lui, exclure les personnes concernées de la création du projet mène souvent à une vision «misérabiliste».

Ce qui l’inquiète, c’est que «la manière dont on représente les autres a des conséquences sur la manière dont on va agir avec ces personnes. (…) En voyant la manière dont les personnes en situation de handicap sont représentées, « ah, ce sont des personnes pitoyables, elles suscitent de la pitié, elles ont besoin d’être aidées, ce sont des êtres de besoin », après, les gens dans la vraie vie envisagent toujours leur handicap sous cet aspect-là.»

Par exemple, il y a trois fois plus de personnages qui éprouvent de la colère liée à leur handicap (23 %) que de personnages qui luttent pour leurs droits (7 %).

Les personnages en situation de handicap, sourds ou neurodivergents sont aussi souvent une source de conflit dans l’histoire (44 %), et ce, dans la majorité des œuvres de fiction où ils sont représentés (59 %).

«Nous sommes vraiment différents de comment on nous décrit dans les téléromans», insiste M. Lupien.

Il en a beaucoup à dire sur ces personnages, qu’il trouve souvent «ridicules». Ceux qui, comme lui, utilisent un fauteuil roulant ne savent pas bien utiliser leur appareil, sont extrêmement lents dans leurs déplacements ou acceptent sas broncher qu’on agrippe leur chaise sans leur consentement, par exemple. Des fois, ceux qui parlent en langue des signes disent du charabia.

«C’est sûr que ça nous blesse quand les gens vont dire des choses comme « on l’a vu dans le téléroman, le gars à la vitesse qu’il se déplace, comment tu veux qu’on t’engage? »», explique-t-il.

L’Union des artistes, l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec, l’Office national du film du Canada et Radio-Canada n’ont pas répondu aux demandes de La Presse Canadienne.

Au moment d’écrire ces lignes, il n’avait pas encore été possible d’obtenir une entrevue avec TVA et Télé-Québec.

Ce dernier a cependant souligné par écrit le bilan de son Plan d’action à l’égard des personnes handicapées 2021-2022, grâce auquel «on note une forte progression des contenus visant à sensibiliser la population, à la télé ou en ligne, sur cette réalité (+172%). Ce sont 125 contenus, dont des émissions telles que Les Mutants, C’est humain, Génial! et Super Plex». Ces chiffres incluent la représentation des troubles de santé mentale comme l’anxiété et la dépression.

La chaîne Noovo n’a pas souhaité parler en entrevue, mais a écrit par courriel qu’«il est important que la diversité à l’écran reflète les communautés et la société d’aujourd’hui. Nous travaillons en ce sens pour, non seulement faire place à plus de talents issus de la diversité, mais également pour que cette diversité se reflète dans les participants qui prennent part à nos émissions et dans les histoires que nous racontons.»