Les coûts liés aux agences privées explosent au CIUSSS de l’Estrie-CHUS
SANTÉ. Pénurie de main-d’œuvre, personnel en arrêt de travail, pandémie, réseau de santé sous tension. La dispensation des soins de santé dans les établissements du CIUSSS de l’Estrie-CHUS passe de plus en plus par le recours à du personnel provenant d’agences privées. En cinq ans, la facture est passée de 660 000 à plus de 3,4 M$ en Estrie, a appris le Granby Express.
Offrir des soins de santé dans les hôpitaux, CHSLD et autres établissements du réseau de la santé québécois coûte de plus en plus cher aux contribuables québécois. Et face au manque de personnel, les gestionnaires du réseau se tournent en outre vers les agences privées pour pallier aux besoins d’effectifs. Selon des données obtenues par via la loi d’accès à l’information, le CIUSSS de l’Estrie-CHUS a dépensé 662 173 $ en main-d’œuvre indépendante (infirmières techniciennes) pour près de 11 000 heures travaillées en 2015-2016. Deux ans plus tard, cette dépense atteignait 1 719 267 $ (28 699 heures travaillées en 2017-2018). Pour le dernier exercice financier qui s’est terminé le 31 mars 2020, une note de 3 464 756 $ pour près de 51 000 heures travaillées apparaissait au bilan comptable du CIUSSS.
«La hausse des coûts associée à la main-d’œuvre indépendante peut s’expliquer du fait que plusieurs titres d’emploi ont été grandement sollicités durant la pandémie. Pensons par exemple aux infirmières, aux inhalothérapeutes, aux préposées aux bénéficiaires ou aux gardiens de sécurité», a indiqué Félix Massé, conseiller en communication au CIUSSS de l’Estrie-CHUS dans un échange de courriels.
«Il est également important de rappeler que pour assurer la sécurité de nos usagers et résidents et en respect des règles sanitaires, il y a eu l’ajout d’équipes dédiées par zones (froides, tièdes, chaudes) afin de limiter les mouvements de personnel. Cela augmente donc le nombre d’heures pour plusieurs titres d’emplois», a-t-il précisé.
Une hémorragie
Hautement réclamées depuis mars dernier, les préposées aux bénéficiaires (PAB) se font également rares dans le réseau public et notamment en Estrie. Entre 2015-2016 et 2019-2020, la facture de PAB venant d’agences privées a fait bond spectaculaire passant de 68 913 $ (2569 heures travaillées) à 518 166 $ (14 321 heures travaillées).
«Les PAB ont été grandement sollicités pour soutenir les équipes en CHSLD, mais aussi chez nos partenaires dans le milieu comme les ressources intermédiaires et les résidences privées pour aînés», a laissé entendre le porte-parole du CIUSSS de l’Estrie pour expliquer en partie cette hausse considérable des coûts.
Selon nos informations, le CIUSSS de l’Estrie traiterait présentement avec une quarantaine d’agences (santé, sécurité).
«Les trois réseaux locaux de services qui ont principalement eu recours à la main-d’œuvre externe pour répondre aux nouveaux besoins en lien avec la pandémie sont le RLS de la Haute-Yamaska, le RLS de la Pommeraie et le RLS de Sherbrooke pour son nombre important de CHSLD», a spécifié Félix Massé, du CIUSSS de l’Estrie-CHUS.
«Que le privé vienne travailler dans le public avec d’autres conditions, mais payé avec les fonds publics. Vous comprendrez que ça va faire.» – Nancy Bédard, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec
Pour la présidente du Syndicat des professionnels en soins des Cantons-de-l’Est (FIQ-SPSCE), Sophie Séguin, l’arrivée des agences privées commence déjà à se faire sentir dans le réseau estrien. Les offres salariales alléchantes et les conditions de travail proposées par les agences en feraient réfléchir plusieurs, selon elle.
«Malheureusement, dans les dernières semaines, on l’a vécu avec l’ouverture d’une nouvelle agence dans la région de Granby. On sait que des gens qui travaillent à Granby et Cowansville ont été sollicités», a déclaré la présidente de la FIQ-SPSCE. «Vous comprendrez qu’on est bien attristé de ça parce qu’on perd du personnel d’expérience dans nos établissements.»
Selon Mme Séguin, une dizaine d’infirmiers et d’infirmières de la région immédiate de Granby aurait quitté récemment le public pour joindre le privé.
«C’est une grande hémorragie au niveau des agences privées qui poussent et qui poussent. Elles sont là par centaine et elles profitent de la situation (pandémie). Pour moi, l’émergence actuelle de la main-d’œuvre indépendante est un symptôme que le réseau public offre des conditions totalement inhumaines à ses salariés. Et depuis quelques années, on le constate avec les taux d’invalidité et le temps supplémentaire obligatoire qui augmentent; un moment donné les gens font des choix pour leur santé et je ne peux pas leur en vouloir», a affirmé en entrevue la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Nancy Bédard.
Pour illustrer son propos, la présidente de la FIQ évoque, entre autres, l’histoire d’une inhalothérapeute de la région de Matane courtisée récemment par une agence privée. Payée au taux horaire de 28 $ /heure par l’État, la professionnelle de la santé s’est fait offrir un pactole: un salaire de 70 $ de l’heure, aucune heure supplémentaire, une prime de quart de travail et ses frais de déplacement et de subsistances (repas, hôtel) payés.
«Que le privé vienne travailler dans le public avec d’autres conditions, mais payé avec les fonds publics. Vous comprendrez que ça va faire», a manifesté Mme Bédard.
La présidente de la FIQ rappelle d’ailleurs qu’en janvier dernier le Dr Horacio Arruda a recommandé au gouvernement d’agir face aux agences privées, d’après les 14 avis écrits par le directeur national de la santé publique rendus publics le mois dernier.