Les hommes de MMA

Derrière ce grand drame, on a peu entendu parler ces acteurs qui, au bas de la hiérarchie, souffrent eux aussi. Pourtant, lorsqu’un train revient en gare avec un graffiti « MMA killers » c’est à chacun de ces hommes que s’adresse l’injure.

Par Carole Lessard

Si le drame de ces hommes n’est en rien comparable à celui des familles des victimes du Lac-Mégantic, rappelons-nous que tous ne sont pas coupables. Il y a parmi ces membres de la communauté de bons pères de famille, des fils, des frères, touchés eux aussi par l’ampleur des dégâts causés par « leur » train. Ils ont été pointés du doigt par les médias, questionnés et leur intégrité remise en question. Et, en plus d’être profondément touchés par le malheur des habitants de Lac-Mégantic, nos travailleurs québécois de la MMA  vivent le drame de l’intérieur avec toute la culpabilité, les questionnements et remises en question que cela implique. Le poids sur les épaules de ces hommes est lourd, sachons-le. 

 

On leur lance des bouteilles de verre, on les invective, on les qualifie de tueurs. Et pas seulement les hommes de la MMA. Tout ceux qui œuvrent sur la voie ferrée, qu’ils fassent partie de compagnies concurrentes ou non.

 

Et que dire du sort réservé à ce collègue, crucifié déjà, avant même que des conclusions objectives aient été tirées de cette enquête majeure ? Élevé au rang mondial de menteur, de meurtrier, on a filmé la maison de Tom Harding. On a harcelé ses proches. Ses collègues, qui le considère comme un excellent ingénieur, ont peine à croire qu’il aurait pu manquer à son devoir. Ils sont inquiets. Comment celui qui a risqué sa vie pour séparer des wagons susceptibles d’exploser aurait-il pu mentir à tous, sachant que l’enquête révélerait la vérité ? N’a-t-on pas droit, ici, au Québec, à la présomption d’innocence ?

 

Ces hommes qui ont entretenu le réseau ferroviaire selon les moyens mis à leur disposition et avec l’encadrement de normes nationales dont les faiblesses ont été prouvées dans ce terrible événement sont-ils réellement tous coupables ?  Et, toute cette haine, même si on peut certainement la comprendre, est-elle dirigée au bon endroit, est-elle utile ? À quel moment commençons-nous à travailler ensemble ? À quel moment, unissons-nous nos forces, comme québécois pour nous réapproprier le réseau ferroviaire et l’ensemble des normes qui le régit ?

 

En manifestant sur les rails, en pleine noirceur, des gens mettent leur sécurité en péril ainsi que celle des travailleurs de la voie ferrée. Ils atteignent les membres de l’équipage, les renversent, les blessent, mais ils n’arrêtent pas le train. En injuriant l’homme qui pose les clous sur les traverses, on écorche celui qui, déjà, souffre. En marquant les wagons de mots assassins, on vise celui qui devra repeindre et non les hauts dirigeants.

Il faut être réalistes. Le chemin de fer, on en a besoin. Pouvez-vous vous priver de pétrole ? Pouvez-vous vous permettre de payer votre épicerie, vos matériaux de construction, vos véhicules trois fois plus cher ? Les chemins de fer seront-ils abandonnés dès demain ? Interdirons-nous aussi aux camions de propane de circuler sur nos routes ? Annulerons-nous le transport de produits chimiques nécessaires au fonctionnement de nombreuses industries ? Non. Les normes de sécurité ont-elles besoin d’être renouvelées au niveau du transport de matières dangereuses ? A-t-on besoin d’investir davantage dans l’entretien de notre réseau ferroviaire ? Faut-il assurer une formation exhaustive aux employés des chemins de fer ? Oui. Certainement.

 

Ce sont nos politiciens qui ont le pouvoir de changer les choses. C’est nous, comme citoyens québécois, qui devons nous unir en envisageant des moyens réalistes de reprendre le contrôle. D’ici là, prenons conscience que chaque ouvrier de la voie ferrée est affecté par la tragédie. Celui qui conduit le train ne regarde plus les rails de la même façon. Celui qui inspecte les wagons le fait en pensant à ses enfants.  Les travailleurs québécois de la MMA traversent la tourmente le cœur lourd. Plusieurs seront marqués à jamais. Mais, une chose est certaine, tous sont prêts à voir les choses changer.