Congrès conservateur: une résolution propose de «définancer» Radio-Canada

OTTAWA — Les conservateurs seront appelés à débattre lors de leur congrès de cette semaine à Québec d’une résolution de leurs confrères albertains visant à couper le financement public de CBC, mais aussi celui de Radio-Canada.

«Nous croyons que le contrôle et les opérations de la CBC/SRC en tant qu’entités devraient être assurés par un financement indépendant et non gouvernemental», peuvent lire les milliers de délégués qui proviennent des quatre coins du pays.

La résolution ne s’enfarge pas dans les fleurs du tapis. Elle place Radio-Canada – ici présentée sous l’acronyme «SRC», pour Société Radio-Canada – sur le même pied d’égalité que CBC, son pendant anglophone. Il est reproché à la société d’État «l’avancement présumé d’agendas de plus en plus politisés dans la programmation».

Jusqu’à présent, le chef conservateur Pierre Poilievre promettait uniquement de «définancer» CBC, une idée dont il fait ses choux gras depuis les débuts de sa course à la direction victorieuse.

Dans une entrevue accordée au média de droite True North, M. Poilievre avait expliqué que la seule raison d’être d’un radiodiffuseur public est de fournir un contenu que le marché privé n’offre pas, une case que CBC ne coche plus selon lui.

Il laissait cependant entendre qu’il soutenait les services français de Radio-Canada, et particulièrement ceux destinés aux minorités francophones du pays, qu’il considère comme un service essentiel.

Au total, les délégués conservateurs se prononceront sur une soixantaine de résolutions. Déjà, la proposition d’encadrer les transitions de genre des mineurs afin de les «protéger» fait débat dans les rangs conservateurs.

Ce n’est pas la seule résolution qui s’attaque aux transgenres. Des militants veulent leur interdire l’accès aux toilettes, vestiaires, refuges et prisons destinés aux femmes en plaidant le droit de ces dernières à «la sécurité, à la dignité et à l’intimité des espaces non-mixtes». Et pour ne laisser aucune ambiguïté sur leurs intentions, ils précisent que «le terme « femme » (…) signifie « personne de sexe féminin ».»

Mais la proposition qui touche à CBC/Radio-Canada devrait recevoir «un appui favorable», juge Marc-André Leclerc, l’ancien chef de cabinet d’Andrew Scheer.

Un avis partagé par un autre ancien stratège conservateur qui, sous le couvert de l’anonymat, considère la résolution comme risquée, mais seulement hors des murs du congrès.

«Il y a une différence entre ce qui est controversé parmi les membres et ce qui le sera pour tout le reste du monde», rigole cette source qui connaît bien la dynamique des congrès politiques.

Plusieurs conservateurs interrogés par La Presse Canadienne ont mentionné qu’une résolution sur les vaccins était sur leur radar. Mais elle est perçue comme un «dog whistle», terme utilisé en politique en référence au sifflet qui émet des ultrasons que seuls les chiens peuvent entendre et qui définit des messages codés transmis à des groupes ciblés, mais qui paraissent anodins pour le grand public.

La résolution, qui se révèle être sans grand potentiel de controverse, affirme notamment que les Canadiens ont «la liberté et le droit de refuser les vaccins pour des raisons morales, religieuses, médicales ou autres» et elle encourage la recherche, le développement et la production de vaccins au pays «qui ne violent pas les croyances religieuses ou les valeurs éthiques des Canadiens».

Les conservateurs peuvent pousser un autre soupir de soulagement. «M. Poilievre et son équipe doivent être contents qu’il n’y ait pas de résolutions sur l’avortement», analyse Marc-André-Leclerc. Le sujet a donné lieu à des discussions difficiles par le passé.

Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Des militants ont proposé de biffer des politiques du parti l’idée qu’un gouvernement conservateur «n’appuiera aucune législation visant à réglementer l’avortement», mais la résolution n’a pas franchi les étapes nécessaires pour se rendre au congrès.

«Périlleux» et «extrêmement stressant»

Un congrès politique est toujours «un exercice périlleux» puisqu’il n’y a pas de contrôle, résume Rodolphe Husny, un ancien conseiller dans le gouvernement de Stephen Harper.

En fait, confie M. Husny, personne ne le dira trop fort, mais «oui, tout à fait, oui, oui» dans les cabinets on se passerait bien de ces congrès. «Et je suis sûr que les libéraux, ils stressent autant que nous, puis même le NPD», note-t-il.

Loin d’être une partie de plaisir, les congrès nationaux sont «extrêmement stressants» pour ceux qui évoluent dans l’entourage d’un chef d’autant plus que les autres partis vont «rarement te laisser le champ libre», renchérit Marc-André Leclerc.

À titre d’exemple, lorsque les libéraux ont battu au printemps dernier une résolution qui réclamait un plan de retour à l’équilibre budgétaire, les conservateurs ont sauté sur l’occasion pour dire que leurs adversaires n’équilibreront jamais le budget.

Et les conservateurs se souviennent bien qu’une résolution visant à reconnaître que «les changements climatiques sont réels» avait été défaite à leur dernier congrès, se faisant aussitôt comparer à des dinosaures sur la place publique. La situation était d’autant plus embarrassante que leur chef de l’époque, Erin O’Toole, s’opposait à la résolution.

Dans la même lignée, les libéraux avaient adopté il y a deux ans en congrès, et avec une forte majorité, une résolution proposant un revenu universel de base pour tous les Canadiens. Leur chef, Justin Trudeau, n’avait pas donné suite à cette idée.

D’ailleurs, même lorsqu’une résolution est adoptée en congrès, cela reste la prérogative du chef de l’inclure ou pas dans la plateforme électorale.

C’est pour cela, explique Rodolphe Husny, que les congrès sont «une opportunité» pour les camps adverses de prendre note des résolutions et d’enregistrer les commentaires du plancher pour les ressortir en campagne électorale afin d’attaquer, de montrer un contraste, de le présenter comme moins fréquentable ou de dire qu’il dépasse les bornes.

Somme toute, M. Poilievre a des conditions favorables à un congrès réussi, d’autant plus que les plus récents sondages nationaux lui offrent une solide longueur d’avance. Qu’il ait ou non le désir de discuter presque exclusivement d’enjeux touchant au coût de la vie, l’aile sociale de son parti pourrait lui jouer des tours en mettant l’accent sur les valeurs qui éloignent sa formation politique de la population, qu’il souhaite à l’inverse séduire.