Des dizaines de pêcheurs autochtones font face à des accusations et à des procès

HALIFAX — Trois ans après qu’une Première Nation a lancé une pêche au homard autoréglementée qui a déclenché des manifestations et des violences en Nouvelle-Écosse, les procureurs fédéraux poursuivent les accusations contre des dizaines de pêcheurs autochtones, dont certains envisagent de contester la constitutionnalité de leur action.

Le 17 septembre 2020, la Première Nation Sipekne’katik a délivré cinq permis de pêche au homard à ses membres, affirmant qu’ils pouvaient piéger et vendre leurs prises en dehors de la saison réglementée par le gouvernement fédéral.

Cette décision audacieuse est intervenue exactement 21 ans après que la Cour suprême du Canada a confirmé le droit issu de traités des groupes autochtones de l’Est du Canada de chasser et de pêcher pour gagner leur vie convenablement, mais les interprétations de cette décision historique restent controversées.

Dans les mois qui ont suivi le début de la «pêche visant à assurer une subsistance convenable» à Sipekne’katik, il y a eu des affrontements sur l’eau, des manifestations bruyantes et des émeutes dans deux viviers à homard, dont l’un a été rasé par un incendie délibérément allumé. La pêche et la réaction violente ont donné lieu à des accusations criminelles et à des poursuites civiles.

En décembre 2022, les agents fédéraux de protection de la nature avaient saisi plus de 7000 casiers à homard alors que d’autres bandes mi’kmaq lançaient leurs propres entreprises de subsistance convenable. Mais jusqu’à présent, les responsables fédéraux ont peu parlé des poursuites liées aux pêcheries autochtones de homard, de crabe et de jeunes anguilles.

Plus de 1000 casiers saisis

Le mois dernier, la journaliste mi’kmaq Maureen Googoo a parcouru les dossiers des tribunaux provinciaux pour dresser une liste de 54 pêcheurs mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick qui sont maintenant devant les tribunaux. Le site d’informations en ligne de Mme Googoo, Ku’ku’kwes News, a rapporté qu’environ la moitié des personnes inculpées envisagent de faire valoir devant le tribunal qu’elles disposent d’un droit issu d’un traité, protégé par la Constitution, de capturer et de vendre du poisson quand et où elles le souhaitent.

Le ministère fédéral des Pêches a confirmé vendredi dans un communiqué que la liste des pêcheurs inculpés établie par Mme Googoo était exacte. Le ministère a affirmé dans un suivi qu’un peu plus de 1000 casiers à homards ont été saisis en Nouvelle-Écosse depuis le début de l’année.

«Nous reconnaissons que la pêche… revêt une grande importance sociale, culturelle, spirituelle et économique pour de nombreux peuples autochtones, et nous restons déterminés à faire respecter les droits de pêche des autochtones, y compris le droit issu de traités de pêcher pour gagner sa vie convenablement», a déclaré la porte-parole du ministère, Lauren Sankey. 

«Notre approche pour faire appliquer la Loi sur les pêches est fondée sur le respect de la conservation, une gestion transparente et prévisible et la réconciliation.»

Parmi les personnes accusées figurent des membres de six Premières Nations de la Nouvelle-Écosse et une du Nouveau-Brunswick. Les accusations comprennent la violation des conditions d’un permis communautaire, la pêche sans autorisation, la pêche pendant une saison de fermeture, l’entrave à un agent des pêches et la pêche aux civelles — de minuscules jeunes anguilles — en violation d’un arrêté de 2020.

En mai, deux pêcheurs de la Première Nation de Pictou Landing ont été reconnus coupables d’infractions liées à la pêche au homard commises en 2019. D’autres procès sont en cours, bon nombre d’entre eux étant antérieurs à la pêche au homard non réglementée qui a attiré l’attention nationale en 2020. Dans plusieurs d’entre eux, des avis constitutionnels ont été déposés, indiquant que les accusés envisagent de faire valoir que leurs droits issus de traités ont été violés.

Négocier plutôt que poursuivre?

Naiomi Metallic, professeure de droit à l’Université Dalhousie à Halifax, a souligné que le gouvernement fédéral devrait négocier avec les Premières Nations plutôt que de poursuivre les pêcheurs autochtones.

«Il s’agit simplement d’une consommation massive de ressources judiciaires», a déclaré Mme Metallic, qui occupe la chaire en droit et politique autochtones à la Faculté de droit Schulich. «Cela devrait se faire à la table des négociations.»

Selon Mme Metallic, le problème est que les gouvernements fédéraux successifs n’ont pas réussi à négocier des accords permanents définissant à quoi ressemblerait une pêche de subsistance convenable.

«Il s’agit d’un droit issu d’un traité qui n’est pas résolu, a-t-elle affirmé lors d’une récente entrevue. Le gouvernement a tenté d’éviter ou de contourner cela… Le Canada ferme les yeux et les Mi’kmaq disent : “Cela ne respecte pas vos obligations.”»

Même si le ministère des Pêches a négocié de nombreux accords provisoires avec les Premières Nations, il a toujours été entendu qu’une résolution permanente devra attendre, a-t-elle rappelé. Mais après 24 ans d’attente, certaines Premières Nations ont mis en œuvre leurs propres projets de pêche.

Une décision de 1999

La décision Marshall de la Cour suprême du Canada en 1999 a établi que les bandes mi’kmaq, malécite et passamaquoddy de l’Est du Canada pouvaient chasser, pêcher et cueillir pour gagner «leur vie convenablement», bien que la cour ait donné une clarification deux mois plus tard, affirmant que le droit issu du traité était soumis à une réglementation fédérale visant à garantir la conservation.

La décision — du nom du militant mi’kmaw de la Nouvelle-Écosse Donald Marshall Jr. — a incité le gouvernement fédéral à dépenser des centaines de millions de dollars pour aider les communautés autochtones à participer à diverses pêches en leur achetant des bateaux et du matériel.

Vendredi, le ministère des Pêches a déclaré qu’Ottawa avait travaillé à la mise en œuvre des droits issus de traités par le biais d’un certain nombre d’autres programmes. «Ces initiatives ont contribué à accroître la participation des Autochtones à la pêche commerciale et à la poursuite d’un moyen de subsistance convenable», indique la déclaration du ministère.

Entre 2017 et 2023, le ministère a signé sept accords de pêche provisoires avec 15 Premières Nations.

Et en mars 2021, Ottawa a commencé à approuver les plans provisoires de pêche visant à assurer des moyens de subsistance convenables rédigés par les Premières Nations. Mais les responsables fédéraux ont clairement indiqué que toute pêche dans le cadre de ces plans devait être limitée aux saisons réglementées par le gouvernement fédéral.

Certaines Premières Nations ont refusé d’adhérer, arguant qu’une saison de pêche unique ne serait pas à la hauteur de ce qui avait été promis dans l’arrêt Marshall. Et 24 ans après cette décision historique, le décor est prêt pour que le différend revienne devant la plus haute juridiction du pays.