La femme tuée par son conjoint avec leurs deux enfants avait porté plainte au SPVM

MONTRÉAL — Un engagement de ne pas troubler l’ordre public était la seule option pour les procureurs qui tentaient de protéger une Montréalaise qui a ensuite été tuée avec ses deux jeunes fils parce qu’elle ne voulait pas témoigner contre son ex-mari, selon une enquête entendue mardi.

L’enquête publique de la coroner concerne les meurtres de Dahia Khellaf, âgée de 42 ans, et de ses fils Adam, quatre ans, et Aksil, deux ans, chez eux à Pointe-aux-Trembles, ainsi que le suicide, le 10 décembre 2019, de l’homme qui les a tués, le mari de Mme Khellaf, Nabil Yssaad.

Le procureur en chef adjoint de la province, Pascal Dostaler, a déclaré à l’enquête qu’un engagement de ne pas troubler l’ordre public avait été utilisé parce que Mme Khellaf avait refusé de témoigner après avoir déposé une plainte un an plus tôt, laissant la Couronne sans son principal témoin. L’engagement de ne pas troubler l’ordre public permet d’imposer certaines conditions à un accusé pour une période de 12 mois et constitue un aveu que la victime a des raisons de craindre pour sa sécurité.

Les accusations sont ainsi retirées et, tant que les conditions ne sont pas rompues, l’accusé n’a pas de casier judiciaire à la fin de l’année, a expliqué le procureur Dostaler. Il a ajouté que c’était rarement le premier choix d’un procureur. «C’est souvent la seule alternative à un acquittement pur et simple», a-t-il dit. 

«Ce type de tragédie est aussi le cauchemar des procureurs, a ajouté M. Dostaler. Ce type d’affaire reste dans votre esprit dans chaque décision prise dans un dossier. Aucune décision n’est prise à la légère.»

Les enquêteurs de la Section des crimes majeurs au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont conclu que les trois victimes avaient été étranglées par Yssaad, avant qu’il n’aille s’enlever la vie dans la région de Joliette, en sautant de la fenêtre d’un hôpital.

En août 2018, Dahia Khellaf avait déposé une plainte contre son conjoint pour violence conjugale auprès du SPVM. Elle a alors relaté à la police des incidents au cours desquels Nabil Yssaad lui avait tordu le bras et avait tenté de la mordre à la sortie d’un rendez-vous à la banque, et qu’il l’avait déjà menacée avec des ciseaux.

Mme Khellaf a expliqué à la police qu’elle voulait se séparer de son mari, qu’elle se demandait s’il souffrait de schizophrénie et qu’elle craignait pour sa propre sécurité, mais pas pour celle de ses enfants.

Le coroner en chef du Québec a ordonné la tenue de cette enquête publique après qu’un premier rapport du coroner sur ces décès a soulevé des préoccupations quant au travail des autorités, notamment des procureurs et du système judiciaire. Le coroner concluait alors qu’on aurait pu en faire davantage pour protéger Mme Khellaf et ses deux jeunes enfants.

Le rapport du premier coroner souligne que cinq jours avant les meurtres, Yssaad avait signé un engagement de ne pas troubler l’ordre public qui lui interdisait de se trouver à moins de 100 mètres du domicile ou du lieu de travail de Mme Khellaf.

Plus tôt mardi, l’enquête a entendu Latifa Sail, une voisine qui est toujours hantée par ces décès. Elle a déclaré que la famille semblait normale lorsqu’ils ont emménagé dans le quartier en 2017, mais que l’état d’Yssaad a commencé à se détériorer un an plus tard.

Mme Khellaf lui a dit qu’elle pensait qu’Yssaad souffrait d’une maladie mentale. Mme Sail a mentionné que Mme Khellaf avait décrit la double personnalité de son mari : parfois il allait bien et d’autres fois, il était agressif. Mais Mme Khellaf a affirmé qu’elle ne pensait pas qu’il donnerait suite à ses menaces et qu’il aimait ses garçons.

Quelques jours avant le meurtre, Mme Sail a déclaré avoir vu Yssaad avec les garçons à l’extérieur de la maison. À l’époque, Mme Sail ne savait pas qu’il n’était pas autorisé à s’approcher de la maison.

«Si j’avais su, j’aurais fait quelque chose, je serais allée voir Dahia», a-t-elle déclaré à la coroner Andrée Kronström.