La vérificatrice générale déplore les longs délais de traitement pour les réfugiés

OTTAWA — Les réfugiés qui font une demande pour venir au Canada doivent subir des délais interminables à cause des retards considérables en matière d’immigration, et la vérificatrice générale, Karen Hogan, demande au gouvernement de créer immédiatement un moyen pour eux de présenter leur demande en ligne.

Or, dans un rapport publié jeudi sur les délais de traitement en immigration, elle relève qu’Ottawa ne mesure même pas l’effet des solutions qu’il met déjà en place pour s’attaquer aux arriérés.

«Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) n’avait pas surveillé la mise en oeuvre de son outil automatisé d’évaluation de la recevabilité (de demandes) afin de déterminer si celui-ci permettait de réduire globalement les délais de traitement (…) comme prévu», peut-on lire dans l’audit.

Mme Hogan a aussi identifié des problèmes dans la charge de travail allouée à des équipes de travail sans que les ressources nécessaires existent dans ces bureaux.

«On a vu des bureaux où c’est (un problème) chronique», a dit la vérificatrice générale en point de presse.

Par exemple, près de la moitié des demandes d’asile en retard étaient traitées par des bureaux canadiens au Kenya et en Tanzanie. La vérificatrice générale a constaté que le bureau de Nairobi, au Kenya, comptait environ la moitié du personnel, mais presque le double de la charge de travail assignée au bureau en Turquie.

La charge de travail du bureau tanzanien était cinq fois supérieure à celle du bureau italien de Rome, même si les bureaux disposaient d’un effectif comparable.

Karen Hogan suggère que même si les délais de traitement se sont améliorés pour la plupart des programmes de résidence permanente en 2022, ils sont toujours très longs en ce qui concerne les programmes pour réfugiés et les personnes protégées à titre humanitaire.

Certains demandeurs attendaient une décision depuis près de trois ans et, à la fin de l’année dernière, 99 000 demandes d’asile attendaient toujours d’être traitées au ministère.

Mme Hogan écrit dans son rapport que «bon nombre des personnes ayant présenté ces demandes attendront des années avant qu’une décision ne soit rendue dans le contexte de traitement actuel».

Le ministre de l’Immigration, Marc Miller, a dit être «préoccupé» par les délais documentés par la vérificatrice générale.

«Le temps de traitement a un impact sur des vies», a-t-il dit en réagissant au rapport.

L’audit indique que les réfugiés bénéficieraient d’un processus de demande en ligne qui a été récemment mis en place pour d’autres flux d’immigration, et recommande que ce mécanisme soit créé «sans plus attendre».

Le gouvernement avait déjà prévu de rendre les demandes d’asile en ligne accessibles aux demandeurs. Il espère introduire ce mécanisme d’ici la fin du mois pour les réfugiés parrainés par le secteur privé, puis en novembre pour les réfugiés pris en charge par le gouvernement.

Capacités limitées

Le gouvernement s’était engagé en 2016 à attribuer les demandes d’immigration en fonction des bureaux disposant de capacités pour le faire. 

Mais Mme Hogan constate que le ministère n’a pas effectué cette transition et a continué d’assigner les charges de travail aux bureaux en fonction des volumes de demandes dans leur région géographique assignée, sans tenir compte de leur capacité de les traiter. 

«Par conséquent, les arriérés régionaux continuaient de s’accumuler pour les demandes présentées au titre du programme de parrainage de membres de la famille à l’extérieur du Canada et des programmes pour les personnes réfugiées dans certains bureaux ayant une capacité limitée», lit-on dans le rapport.

Cela signifie que les personnes originaires de certains pays subissaient des retards plus importants et plus longs pour la plupart des programmes de résidence permanente examinés par la VG. Ainsi, plus de la moitié des candidatures soumises par des citoyens somaliens et de la République démocratique du Congo étaient en retard.

Dans le cas des réfugiés, le ministère a déclaré à la vérificatrice générale que les conditions particulières à certains pays pouvaient aussi expliquer des retards, notamment dans des endroits éloignés ou dangereux qui peuvent rendre difficile la réalisation d’entrevues.

Le Québec fait «tripler» certains délais

La vérificatrice générale a souligné que les délais moyens sont moindres qu’auparavant dans la plupart des catégories de demandes pour une résidence permanente. Or, les normes de rendement qu’Ottawa s’est fixées pour traiter les requêtes dans un délai opportun continuent de ne pas être respectées, a-t-elle également noté.

Au Québec, seulement 30 % des demandes ont été traitées «dans le respect des normes de service» par le fédéral, en ce qui a trait au Programme des travailleurs qualifiés sélectionnés par la province.

Étant donné que l’immigration est une compétence partagée entre Québec et Ottawa, le ministre Miller s’est fait demander par une journaliste s’il attribue une part du blâme au gouvernement de François Legault pour les délais d’attente dans différents programmes.

Même s’il a dit vouloir collaborer avec Québec dans une logique d’«entraide», M. Miller a réitéré qu’il estime que le seuil fixé par la province en termes de réunification familiale est trop bas, ce qui amplifie les délais de traitement pancanadiens, à son avis.

«C’est clair qu’avec l’accord Canada-Québec, il y a des niveaux qui se fixent et quand les niveaux sont atteints, on ne peut plus remplir tous les besoins qui sont là, a-t-il soutenu. Je pense notamment (à) la catégorie familiale, qui, selon moi – et je l’ai dit à la ministre en question – est trop bas au Québec. Il y a des gens, des Québécois, qui s’attendent à ce que leur famille vienne au Québec et puis on doit couper à 10 000, 12 000 et (…) ça triple le délai d’attente qui existe dans le reste du pays.»

Néanmoins, il a insisté sur son désir de collaboration, même si des «désaccords» peuvent survenir parfois.

«On peut travailler ensemble pour s’assurer que l’immigration se fasse de la bonne façon, (comme)en les aidant à avoir plus d’immigrants francophones – c’est un besoin criant», a conclu le ministre.

Le porte-parole bloquiste en matière d’immigration, Alexis Brunelle-Duceppe, croit que M. Miller devrait «s’occuper de ses affaires».

«La vérificatrice générale, elle fait le constat de ce qui se passe au fédéral et pas au provincial. Alors s’il veut analyser un rapport de la vérificatrice générale du Canada, eh bien qu’il l’analyse en fonction des champs de compétence», a-t-il dit en mêlée de presse.

Selon, lui, le diagnostic est clair. «Il faut constater qu’il y a un échec au niveau de la structure même d’IRCC. Si on ne fait pas ce constat-là, on ne pourra jamais régler le problème», a-t-il tranché.

Le chef adjoint néo-démocrate, Alexandre Boulerice, a affirmé en entrevue que les délais constituent «un problème qui dure et perdure» et qui a «un impact concret sur sur la vie des gens, sur les réunifications familiales, sur le fait que les gens sont dans le noir, dans l’incertitude».

«Les ministres libéraux changent, mais les résultats se font toujours attendre (et) il y a plein de gens qui appellent à nos bureaux (de circonscriptions), qui demandent de l’aide et de l’action», a ajouté le député de Rosemont—La Petite-Patrie.

À son avis, M. Miller verse dans l’«excuse facile» en mentionnant qu’il considère que les seuils de Québec en matière de réunification familiale sont trop bas.