Le Canada et le Danemark mettent fin à leur guerre de drapeaux sur l’île de Hans

OTTAWA — La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a conclu un accord historique avec le Danemark, réglant un différend qui remonte à cinq décennies sur une île de 1,3 km² dans l’Arctique. 

Mme Joly et le ministre danois des Affaires étrangères, Jeppe Kofod, ont signé mardi un accord pour diviser l’île de Hans, un rocher inhabité situé entre l’île d’Ellesmere, au Nunavut, et le Groenland, un territoire danois autonome.

L’île a fait l’objet de cinquante ans de différends diplomatiques entre les deux nations, car elle se trouve dans les eaux territoriales des deux pays. 

La ministre Joly a salué une «journée historique» qui met fin à la «plus amicale de toutes les guerres». Les deux nations se laissaient des bouteilles de spiritueux sur l’île avec de petites notes, tout en retirant les drapeaux de l’autre. 

Après la signature de l’accord, les ministres ont symboliquement échangé des bouteilles de spiritueux, avec des notes jointes, pour mettre fin à la «guerre du whisky». 

Mme Joly a souligné que l’accord permet au Canada et au Danemark de tous deux planter leurs drapeaux respectifs, «de la même couleur», sur la «petite, mais importante île de l’Arctique.»

Elle a ajouté que le différend avait occupé 26 anciens ministres canadiens des Affaires étrangères et que sa résolution montrait que les nations peuvent résoudre les différends territoriaux de «manière pacifique».

Dans une référence à l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine, Mme Joly a indiqué que l’accord avec le Danemark avait été conclu «à un moment très important de notre histoire parce que nous savons que les dirigeants autoritaires croient qu’ils peuvent tracer des frontières par la force».

Dans une autre référence à la Russie, elle a dit qu’en concluant un accord, «le Canada, le Danemark et le Groenland envoient un message clair aux autres États de l’Arctique» selon lequel les différends peuvent être résolus par la diplomatie pacifique.

Tartupaluk, point de rassemblement des Inuits

L’accord sur la souveraineté de Tartupaluk — le nom inuit de l’île — fait suite à des consultations avec les Inuits du Nunavut et du Groenland.

Ils maintiendront les droits de chasse et la liberté de mouvement sur l’île qui fait partie de leurs terrains de chasse depuis des siècles.

La députée néo-démocrate du Nunavut, Lori Idlout, souhaite que l’île Hans soit officiellement renommée Tartupaluk.

«Les Inuits utilisent depuis longtemps l’île Hans comme point de rassemblement pour la chasse, a-t-elle déclaré. Nous sommes heureux que les droits des Inuits aient été protégés afin qu’ils puissent maintenir leur libre circulation et leur mode de vie traditionnel.»

Pour le ministre danois Kofod, la signature marque un «jour historique». 

«Cela fait plus de 50 ans que nous discutons de la souveraineté de l’île Tartupaluk. Après des négociations intensifiées au cours des dernières années, nous sommes maintenant parvenus à une solution», a-t-il dit. 

«Nos efforts démontrent notre ferme engagement commun à résoudre pacifiquement les différends internationaux. J’espère que nos négociations et l’esprit de cet accord pourront en inspirer d’autres», a-t-il conclu. 

Pour le premier ministre du Groenland, Múte B. Egede, qui a signé l’accord, la frontière sur Tartupaluk soulignera les liens étroits entre les pays, leurs peuples et leurs cultures.

«La frontière marquera le début d’un partenariat et d’une collaboration plus étroits entre nous dans des domaines d’intérêt commun et au bénéfice particulier des Inuits et des populations locales vivant à Avanersuaq, à Kalaallit Nunaat et au Nunavut, au Canada», a-t-il souligné.

Avec cet accord, le Canada, pour la première fois, partage une frontière terrestre avec le Danemark.

Lorsqu’on lui a demandé si cela pourrait signifier que le Canada pourrait désormais se qualifier pour participer au concours de l’Eurovision, la ministre Joly a plaisanté en disant que, parce que le Canada a maintenant «une frontière» avec l’Union européenne, le Canada pourrait demander à rejoindre le concours musical européen.

«Guerre du whisky»

Le conflit au sujet de cette petite île a mené à plusieurs jeux de chamaillerie bon enfant depuis la décennie 1980 pour déterminer auquel des deux pays revient l’île.

En 1984, le Canada a planté un drapeau sur l’île et y a laissé une bouteille de whisky canadien. Plus tard, cette année-là, le ministre danois des Affaires du Groenland a visité l’endroit par hélicoptère et a planté à son tour un drapeau danois. Il a également laissé une bouteille d’aquavit, un spiritueux danois. Il aurait aussi écrit une note disant «bienvenue sur l’île danoise».

Puis, en 1988, un navire de patrouille de l’océan arctique danois s’est rendu jusqu’à l’île. L’équipage a alors construit un amas de pierres auquel ils ont ajouté un drapeau danois.

En 2001, un géologue canadien chargé de cartographier l’île d’Ellesmere a effectué un vol d’hélicoptère jusque sur l’île de Hans. 

Finalement, en 2005, le ministre canadien de la Défense, Bill Graham, est allé marcher sur le rocher dans un geste symbolique. Une semaine plus tôt, les Forces armées canadiennes s’y étaient rendues pour installer un drapeau et une plaque sur l’île, ce qui avait suscité de vives réactions du Danemark qui avait convoqué l’ambassadeur canadien.

Cette même année, les deux États ont convenu de relancer les négociations. Le premier ministre danois de l’époque, Anders Fogh Rasmussen, avait déclaré qu’il était «temps de mettre fin à cette guerre de drapeaux».

Les deux pays s’étaient entendus sur le fait qu’en cas d’impossibilité de s’entendre, ils feraient appel à la Cour internationale de justice de La Haye pour résoudre l’affaire.

Le ministre des Affaires du Nord, Dan Vandal, a souligné que le Canada et le Danemark partagent une histoire riche et coopérative, et «il est normal, et ce n’est qu’une question de temps, qu’une solution équitable comme celle-ci soit trouvée, basée à la fois sur l’aspect pratique et sur le compromis».

L’accord a également résolu un désaccord entre les deux pays sur les frontières maritimes sur le plateau continental.

Le porte-parole conservateur en matière d’affaires étrangères, Michael Chong, a déclaré que l’accord était «une démonstration de la façon dont les pays qui sont des membres intègres de notre système international peuvent travailler ensemble pour régler les différends autour des frontières internationales».

«Peu de choses sont plus sacro-saintes dans le maintien de l’ordre international que de s’assurer que nous respectons les frontières internationales de l’autre», a dit M. Chong.

Après la signature de l’accord, Mme Joly a offert à son homologue danois une bouteille de Sortilège Prestige, une liqueur de whisky canadien et de sirop d’érable fabriquée au Québec, tandis que le ministre Kofod a offert à Mme Joly une bouteille de Gammel Dansk Bitter Dram.