Les producteurs maraîchers se tournent de plus en plus vers d’autres cultures

MONTRÉAL — La menace que font planer les changements climatiques sur la sécurité alimentaire du Québec n’est plus théorique: l’Association des producteurs maraîchers du Québec (APMQ) constate que ses membres, durement affectés par les événements météorologiques extrêmes, produisent de moins en moins d’aliments pour le Québec.

«Les producteurs maraîchers réorientent leurs activités dans la grande culture où la capacité à opérer une ferme et la gestion du risque sont beaucoup moins importantes que pour une ferme maraîchère», raconte le directeur général de l’Association Patrice Léger Bourgouin. Ce que l’on appelle la grande culture, ce sont le maïs-grain, le soja, les céréales, les cultures fourragères et les haricots, notamment.

Leur volonté de se tourner vers des cultures moins à risque n’étonnera personne après les pluies diluviennes de l’été 2023. Celles-ci ont eu un effet catastrophique pour une majorité de producteurs dans les secteurs maraîcher, horticole, des petits fruits, des légumes de transformation et des légumes racine telles les pommes de terre. 

Maladies, plants pourris, déracinés

Un sondage réalisé auprès de 250 producteurs fait état d’importantes pertes de production, d’une majorité de cultures affectées non seulement par la pluie, mais aussi par le gel ou la grêle.

Les trois quarts des répondants ont détecté des maladies fongiques dans leurs cultures, une majorité s’attend à des pertes dans l’entreposage de produits gorgés d’eau et la moitié des répondants anticipe des difficultés pour l’été prochain en raison de plants pourris sur pied, cassés, déracinés ou atteints de maladies.

Cette situation fait en sorte que les revenus anticipés ont fondu comme neige au soleil, si bien que les liquidités manquent non seulement pour acheter ce dont ils ont besoin pour l’été prochain, mais aussi pour boucler l’année.

Moins de production alimentaire

Même si l’été 2023 a été l’un des pires avec ses champs transformés en immenses lacs de boue où même les tracteurs s’embourbaient, il s’inscrit dans une suite d’étés difficiles qui amènent ces producteurs à regarder ailleurs.

«Ce qui nous inquiète depuis quelques années, c’est de voir de plus en plus de maraîchers substituer leur culture traditionnelle pour la grande culture et, lentement mais sûrement, c’est un une perte de la superficie de production alimentaire pour les humains», explique Patrice Léger Bourgouin.

Ce mouvement est aussi alimenté par le besoin d’assurer la relève, une relève qui s’interroge sur son avenir dans les cultures maraîchères avec cette météo impitoyable. 

«C’est beaucoup plus facile d’aller chercher du financement bancaire pour que les jeunes achètent les fermes de leurs parents s’ils ont une activité dans la grande culture», poursuit le directeur général de l’APMQ.

Relève et risque

«Pour le banquier, qui est allergique au risque, l’apport en équipement, en ressources humaines au champ, en intrants est beaucoup moins grand dans la grande culture que dans le maraîcher. Le risque est beaucoup plus faible, puisque les prix sont transités sur les marchés internationaux à la bourse des commodités de Chicago. Il y a une stabilité de revenu dans la grande culture que tu n’as pas dans le maraîcher et quand vient le temps de penser à la relève, souvent la stabilité des revenus pour venir à bout de faire ton financement va passer par un pourcentage de tes superficies qui sont dans la grande culture», explique M. Léger Bourgouin.

Le sondage n’a pas été réalisé pour amplifier le cri de détresse lancé au début du mois d’août par ces producteurs alors qu’ils avaient les deux pieds dans la boue. Le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, avait à ce moment créé un groupe de travail spécial avec ses fonctionnaires, l’Union des producteurs agricoles (UPA) et la Financière agricole dont la première tâche était de dresser le portrait de la situation. 

Outre le détail des ravages agricole, le coup de sonde dresse un portrait inquiétant de la détérioration de la situation financière de ces producteurs. «Les conséquences financières pour les entreprises sont sérieuses et préoccupantes, allant même jusqu’à compromettre l’avenir de plusieurs fermes», affirme le président de l’UPA, Martin Caron, qui demande une aide «exceptionnelle, rapide, à la hauteur des besoins et à l’extérieur des programmes existants».

Des attentes envers Québec

Il est clair, selon l’UPA et les associations de producteurs, que les programmes de gestion des risques actuels «ne permettent pas aux entreprises de faire face à des situations climatiques extrêmes», affirme de son côté le président des Producteurs de pommes de terre du Québec, Francis Desrochers. 

D’ailleurs, 52 % des entreprises de ces secteurs ne participent pas à l’assurance récolte, d’une part parce qu’elle ne couvre pas plusieurs récoltes et, d’autre part, «parce qu’elle est mal adaptée à leurs conditions économiques et aux conditions météorologiques actuelles, explique Patrice Léger Bourgouin. Ces programmes-là ont été essentiellement élaborés il y a 30 ans dans un contexte qui n’est pas du tout adapté à la réalité des événements climatiques d’aujourd’hui». 

Les producteurs attendent impatiemment la mise à jour économique du ministre des Finances, Éric Girard, le 7 novembre prochain. Celui-ci a promis que l’adaptation aux changements climatiques ferait partie des priorités.