Malgré les craintes récentes, le Canada s’en sort bien en commerce international

MONTRÉAL — Les récents obstacles auxquels s’est heurté l’Accord économique et commercial global (AÉCG) entre le Canada et l’Union européenne et la perspective d’un isolationnisme grandi aux États-Unis à l’approche de l’élection présidentielle de novembre pourraient donner l’impression que les perspectives du commerce international canadien s’assombrissent.

Malgré tout, celui-ci garde le cap pour l’instant. Le montant des échanges commerciaux du pays était plus ou moins similaire en 2023 qu’en 2022 — 1521,6 milliards $ en exportations et importations cumulées en 2023 contre 1523,5 milliards $ en 2022 selon Statistique Canada —, une somme qui dépasse désormais les niveaux prépandémiques. 

«Il n’y a pas de raison de penser particulièrement que le Canada n’est pas une destination de commerce intéressante», observe Arthur Silve, professeur agrégé au département d’économie de l’Université Laval et chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. Cela n’a pas empêché «une bombe» de tomber le 21 mars, lorsque le Sénat français a décidé de voter contre la ratification de l’AÉCG. 

C’est un premier coup porté, mais pas la fin de l’accord, qui doit encore passer devant le vote de l’Assemblée nationale française, lors d’un vote décisif, qui pourrait avoir lieu à la fin mai. S’il était négatif, le traité ne serait plus en vigueur, mais les conséquences ne seraient pas très significatives, selon M. Silve. 

«Il continuerait à avoir un certain nombre de règles qui s’appliqueraient, notamment celles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il y aurait donc encore des échanges, mais les droits de douane seraient un peu plus élevés. On ne va pas connaître un changement radical du jour au lendemain», assure-t-il. 

Au-delà des conséquences de la fin d’un traité de cette ampleur, une réalité se révèle avec cette décision. «Cela montre que le Canada est assez compétitif pour inquiéter certains groupes de pression en France», affirme le chercheur.

Plus qu’une question d’attractivité du Canada, la fin de l’AÉCG serait plutôt une décision isolationniste. 

«On est avant tout un marché relativement significatif avec un accès extrêmement privilégié à tout le continent nord-américain. En ce moment, le niveau du dollar canadien est relativement bas, ce qui veut dire que les biens produits au Canada sont plutôt attractifs pour des importateurs étrangers», rappelle M. Silve. 

La crainte de l’isolationnisme américain

Si les affaires commerciales avec l’Union européenne sont importantes pour le Canada, celles avec les États-Unis le sont encore davantage, le pays étant de loin son premier partenaire commercial, avec 595 milliards $ d’exportations et 374,1 milliards $ d’importations en 2023 selon Statistique Canada. 

Avec les élections présidentielles américaines à la fin de l’année, il pourrait être envisageable que le choix des Américains ait un impact sur le commerce entre le Canada et les États-Unis. 

«Je ne suis guère optimiste, quel que soit le candidat», déplore Rodrigue Tremblay, économiste et ancien ministre de l’Industrie et du Commerce québécois dans le cabinet Lévesque. 

Côté républicain comme démocrate, l’heure semble au protectionnisme. «Les deux candidats posent des problèmes. M. Biden a bloqué le pipeline Keystone, qui devait amener le pétrole de l’Alberta vers le Texas. (…) M. Trump a déjà, quand il était au pouvoir, imposé des droits à l’importation de bois d’œuvre venu du Canada», énumère M. Tremblay. 

«M. Trump comme M. Biden n’ont pas un bilan qui témoigne de beaucoup d’ouverture au libéralisme, ajoute M. Silve. La question est donc: quelle est la différence entre les deux? Je pense qu’en matière de commerce international, le différentiel serait probablement modéré.» 

Mais malgré ces quelques désaccords entre les deux pays, la situation n’est pas dramatique pour le Canada. 

«Le Canada est très intégré dans les échanges internationaux avec les États-Unis. À son échelle, cette relation est essentielle, et plutôt pas mauvaise en ce moment», rassure le chercheur. 

Si les États-Unis restent ouverts au commerce international, le Canada continuera de bénéficier de sa position avantageuse, sans trop de concurrence. 

«Je ne pense pas que le Moyen-Orient ou l’Amérique du Sud soient des concurrents. Ils sont éloignés des États-Unis, et les coûts de transport deviennent de plus en plus importants», expose M. Tremblay. 

Au niveau local, même si le Mexique exporte plus que le Canada vers les États-Unis — 454 milliards $ US contre 436,6 milliards $ US selon le Bureau du représentant américain au Commerce — il n’existe pas de forte concurrence entre les deux nations.

«Nous ne sommes pas en concurrence avec le Brésil dans la production de chocolat, ou le Mexique sur le sirop d’érable. Il y a certains domaines où c’est le cas, mais on a plutôt intérêt à s’inscrire dans une chaîne d’approvisionnement. Certains produits seront le fruit d’échanges entre pays», décrit M. Silve. 

Il vaut donc mieux se préoccuper de la santé de l’économie du voisin américain. Selon M. Tremblay, un ralentissement important de l’économie de la superpuissance pourrait poser problème au Canada. 

La nécessité de conquérir de nouveaux marchés

Afin de limiter les difficultés en cas d’affaiblissement de l’économie américaine, le Canada doit se trouver de nouveaux partenaires commerciaux afin de réduire l’importance des États-Unis dans ses échanges commerciaux, selon Rachidi Kotchoni, économiste pour le Groupe de la Banque africaine de développement. L’ancien doctorant de l’Université de Montréal a notamment produit en 2020 une étude sur le potentiel d’expansion des échanges commerciaux entre le Canada et les pays francophones d’Afrique de l’Ouest. 

Le Canada a ainsi déjà commencé à développer de nouveaux partenariats. Parmi eux se trouve la Stratégie pour l’Indo-Pacifique, qui concerne certains pays d’Asie. 

Annoncée en novembre 2022, celle-ci prévoyait un investissement de 2,3 milliards $ sur cinq ans afin de développer l’influence du Canada dans la région. Cela inclut notamment l’Inde, cinquième puissance économique mondiale, avec qui le Canada échange environ 10 milliards $ de produits chaque année, selon Victor Thomas, président et PDG du Conseil de commerce Canada-Inde. 

Mais pour lui, ce n’est pas assez. 

«C’est un bon départ, mais les entreprises canadiennes doivent changer de mentalité. Certes, nous vivons au nord de la plus grande économie du monde, mais il faut aussi comprendre ce qui se passe en Asie du Sud. Si nous n’agissons pas, d’autres pays le feront, et on aura manqué une grosse opportunité de développement», s’inquiète-t-il. 

Mais si certains marchés très attractifs sont déjà dans le viseur du gouvernement canadien, d’autres sont laissés de côté. C’est le cas de l’Afrique, qui ne représente que le dixième partenaire commercial du Canada en additionnant les échanges avec tous les pays qui la composent, selon la base de données des Nations unies sur les statistiques du commerce des produits de base.

Pourtant, la majorité des pays d’Afrique de l’Ouest, notamment, ont pour langue officielle l’anglais ou le français. Le Canada, n’étant pas une puissance coloniale, a bonne réputation, et une partie de leurs habitants ont émigré vers le Canada pour les études ou le travail, représentants de parfaits ambassadeurs, d’autant plus que le marché africain est loin d’être inintéressant, note M. Kotchoni. 

«Ces pays possèdent d’immenses gisements de matières premières minérales et agricoles; une démographie dynamique avec une main-d’œuvre abondante et bon marché; et des secteurs industriel et tertiaire largement sous-développés en quête d’idées et de capitaux»,  décrit-il. 

Pour installer une relation commerciale forte, le Canada aurait besoin de s’implanter dans ces pays et d’y investir, une logique commerciale encore peu mise en place. Mais avec un changement de visage de l’économie mondiale, notamment au niveau des États-Unis, le pays pourrait y être contraint.

«Ce dont le Canada a besoin, c’est réduire la concentration de ses paniers d’exportation et d’importation, ce qui implique de baisser le poids des États-Unis dans ses échanges commerciaux. Et l’Afrique de l’Ouest offre effectivement d’énormes possibilités au Canada pour atteindre ce but», affirme l’économiste.