Ottawa plaide la cause de la canalisation 5 devant un tribunal américain

WASHINGTON — Ottawa exhorte un tribunal d’appel américain à annuler l’ordonnance d’un juge du Wisconsin qui menace de fermer la canalisation 5 transfrontalière d’ici juin 2026.

Forcer sa fermeture violerait les droits issus de traités du Canada, soutiennent les avocats du gouvernement dans un mémoire d’amicus curiae déposé lundi auprès de la Cour d’appel des États-Unis pour le septième circuit.

Une ordonnance d’un tribunal du Wisconsin rendue en juin par le juge William Conley n’a donné à Enbridge, établie à Calgary, que trois ans — et pas un jour de plus — pour rediriger le pipeline autour du territoire appartenant à la bande de Bad River du lac Supérieur Chippewa.

Enbridge prévoit un détour de 66 kilomètres pour remplacer le tronçon de 19 kilomètres qui traverse le territoire souverain de la bande de Bad River.

Les deux parties font appel de la décision. 

Le Canada soutient depuis longtemps que toute fermeture ordonnée par un tribunal violerait un traité de 1977 avec les États-Unis visant à garantir le flux continu et ininterrompu d’énergie dans les deux directions de l’autre côté de la frontière.

Le mémoire continue en insistant sur le fait que le gouvernement fédéral est déterminé à se réconcilier et à défendre les droits des peuples autochtones au Canada, et qu’il «respecte les droits et les intérêts» de ses homologues aux États-Unis.

Le Canada soutient également «les efforts coopératifs et rapides» pour détourner le pipeline de la réserve — un objectif qui est tout à fait réalisable sans recourir à une fermeture, poursuit le document.

Un délai insuffisant

Enbridge n’a besoin que de l’approbation réglementaire fédérale et étatique, ainsi que de l’exploitation continue du pipeline, pour terminer le détour. Mais cela nécessite probablement aussi plus de temps, affirme le mémoire, qui conteste également le délai de trois ans, jugé insuffisant pour que le marché nord-américain s’adapte à la réalité potentielle d’une fermeture de la canalisation 5.

«Respectueusement, le Canada considère les prévisions économiques de la Cour comme spéculatives et indûment optimistes, peut-on lire dans le mémoire. Les marchés s’adaptent rarement rapidement et efficacement dans des conditions de grave incertitude.»

«Même avec des informations complètes et vérifiées, le marché ne pourrait pas s’adapter à la fermeture de la canalisation 5 sans nuire gravement à la sécurité énergétique et à la prospérité économique de l’Amérique du Nord», indique le mémoire du gouvernement.

Tous les tracés de rechange des pipelines sont à leur capacité maximale ou presque, tandis que le transport du pétrole et du gaz par train ou par camion serait coûteux et entraînerait une myriade de conséquences environnementales et de sécurité, prévient le rapport.

«Le Canada estime que même avec un délai de trois ans, les conséquences économiques d’une fermeture seraient graves», tant pour les producteurs de combustibles fossiles que pour les raffineries et les installations du centre du Canada et du Midwest américain.

La décision du juge Conley semble ignorer la nature contraignante des traités internationaux, ce qui constitue une «erreur de droit manifeste», lit-on également dans le mémoire.

Le Conseil de bande de Bad River affronte Enbridge devant les tribunaux depuis 2019, affirmant que l’entreprise a perdu l’autorisation d’opérer sur la réserve en 2013. Enbridge insiste sur le fait qu’un accord de 1992 avec la bande lui a permis de continuer ses activités.

Le juge Conley, hésitant à ordonner une fermeture immédiate, a plutôt cherché un compromis, donnant à Enbridge jusqu’en juin 2026 pour terminer le détour et ordonnant à l’entreprise de partager les bénéfices de la canalisation 5 avec la bande, en commençant par un arriéré de 5,1 millions $ US.

Aucune des deux parties n’était satisfaite.

Les groupes environnementaux qualifient le pipeline vieux de 70 ans de «bombe à retardement» avec un bilan de sécurité douteux, malgré les affirmations contraires d’Enbridge.

L’État voisin du Michigan, dirigé par la procureure générale Dana Nessel, mène également une guerre contre la canalisation 5, craignant une fuite dans le détroit de Mackinac, la voie navigable où le pipeline traverse les Grands Lacs.

La canalisation 5 transporte quotidiennement 540 000 barils de pétrole et de liquides de gaz naturel à travers le Wisconsin et le Michigan jusqu’aux raffineries de Sarnia, en Ontario.

Elle approvisionne également des installations de raffinage clés en Ontario et au Québec et est essentielle à la production de carburéacteur pour les principaux aéroports des deux côtés de la frontière canado-américaine, notamment Detroit Metropolitan et Pearson International à Toronto.