Ottawa «travaille sur plusieurs scénarios» en vue des élections américaines, dit Joly

OTTAWA — La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, indique que le Canada élabore déjà un «plan de match» sur la façon dont il réagirait si les États-Unis amorçaient un virage autoritaire d’extrême droite après les élections présidentielles de l’année prochaine.

En entrevue mercredi à la station radiophonique 98,5, Mme Joly a expliqué qu’Ottawa devait «travailler sur plusieurs scénarios», en raison des liens étroits qui unissent le Canada et les États-Unis. 

La ministre admet que le Canada a un plan de match en tête, mais elle n’a pas voulu entrer dans les détails, si ce n’est pour dire que «peu importe le résultat des élections» aux États-Unis, elle travaillerait avec les autres ordres de gouvernement, le milieu des affaires et les syndicats.

Mme Joly a fait une analogie avec l’expérience de son gouvernement avec l’administration de l’ancien président américain Donald Trump, qui cherchait à limiter le commerce établi depuis longtemps dans des secteurs cruciaux.

M. Trump est à nouveau candidat à l’investiture républicaine en vue des élections de novembre 2024, et il a déjà menacé de «représailles» ses opposants et des fonctionnaires de l’administration.

L’ambassade des États-Unis à Ottawa a refusé de commenter les propos de la ministre Joly.

«Nous, au gouvernement Trudeau, on a déjà géré une administration Trump, donc on a de l’expérience», a assuré la ministre Joly. 

Thomas Juneau, professeur de sécurité nationale à l’Université d’Ottawa, croit que de nombreux Canadiens pourraient trouver exagéré de prétendre que les États-Unis sont radicalement en décalage avec le Canada.

Mais on a assisté depuis quelques années à une augmentation extrême de la volatilité dans le monde, a-t-il admis en entrevue jeudi. «Ce qui aurait été des scénarios extrêmement farfelus il y a peut-être 10 ans ne sont plus impossibles aujourd’hui», croit-il.

Le professeur Juneau rappelle que le Canada pourrait faire face à la perspective de réfugiés politiques, de protectionnisme économique dans l’une des plus importantes relations commerciales au monde, et d’un choc quant à la dépendance d’Ottawa à l’égard des États-Unis pour le partage de renseignements et la coopération scientifique. Sans compter la défense antimissile et la protection militaire.

«Si des États-Unis de plus en plus autoritaires deviennent de plus en plus unilatéraux et bafouent des alliances traditionnelles comme l’OTAN ou des arrangements comme le Norad, comment cela nuirait-il à notre sécurité nationale?», demande M. Juneau.

Il cite par ailleurs une éventuelle intervention américaine dans les processus démocratiques canadiens. Déjà, des politiciens d’extrême droite aux États-Unis avaient exprimé leur soutien aux manifestations du «convoi de la liberté» en 2022.

À l’époque, le procureur général du Texas, Ken Paxton, et le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, qui se présente maintenant contre M. Trump pour l’investiture républicaine, ont tous les deux contesté les tentatives visant à empêcher les Américains de verser des contributions aux manifestants canadiens.

En septembre 2021, les libéraux ont promis de créer un «centre canadien pour la démocratie mondiale» pour soutenir les pays aux vues similaires, à une époque d’autoritarisme croissant, mais le projet n’a pas encore été lancé.

Le professeur Juneau n’a pas entendu parler d’autres pays qui ont affirmé publiquement qu’ils avaient des plans d’urgence si les États-Unis prenaient un virage autoritaire. «C’est un sujet très délicat pour tout allié démocratique des États-Unis, a-t-il admis. Je suppose que tout allié voudra demeurer très, très discret à ce sujet.»

De manière générale, les alliés du Canada ont utilisé un langage axé sur les risques que les États-Unis se retirent de la scène internationale.

L’ambassadeur de France au Canada, Michel Miraillet, déclarait en avril dernier que des liens plus étroits entre Ottawa et l’Europe pourraient protéger ces deux partenaires d’un désengagement ou d’un effacement américain sur la scène internationale.

Dans un discours au Conseil des relations étrangères de Montréal, l’ambassadeur français rappelait la décision de l’administration démocrate de Barack Obama de ne pas intervenir en Syrie, la timidité de la réaction américaine lors de la prise de contrôle par la Russie en 2014 de la région ukrainienne de Crimée, et la sortie chaotique des militaires américains en Afghanistan.