Projet de loi anti-scabs: le Bloc défie les libéraux de supprimer le délai de 18 mois

OTTAWA — Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, demande aux libéraux fédéraux d’éliminer un article de leur projet de loi interdisant le recours à des briseurs de grève qui ferait en sorte que la loi entrerait en vigueur après une période d’attente de 18 mois — un délai que les néo-démocrates souhaitent également voir raccourci.

Le parti demande au gouvernement du premier ministre Justin Trudeau de supprimer ce délai du projet de loi que le ministre du Travail,  Seamus O’Regan, a déposé la semaine dernière pour qu’il soit adopté avant Noël, peut-on lire dans une déclaration, mardi. 

Le projet de loi propose d’interdire le recours à des «scabs» en cas de lock-out ou de grève dans les lieux de travail sous réglementation fédérale, tels que les aéroports, les ports et le secteur des télécommunications. Une entreprise qui enfreint une interdiction encourt une amende de 100 000 $ par jour.

Le ministre du Travail, Seamus O’Regan, a affirmé que le délai de 18 mois avait été demandé par le Service fédéral de médiation et de conciliation et le Conseil canadien des relations industrielles, les deux organismes chargés de mettre fin aux conflits du travail. 

S’adressant à la presse la semaine dernière, M. O’Regan a dit que ces deux organismes avaient indiqué au gouvernement qu’ils avaient besoin de temps pour mettre en place le personnel et les ressources nécessaires avant l’entrée en vigueur d’une telle loi. 

Le ministre a souligné que la plupart des conflits du travail sont en fait résolus par des négociations, mais que le gouvernement doit toujours gérer ceux qui entraînent des perturbations. 

Cette semaine marque une pause pour les parlementaires, qui retourneront à la Chambre des communes lundi. Le bureau de M. O’Regan n’a pas répondu à une demande de commentaire.

Des groupes d’entreprises, dont la Chambre de commerce du Canada et la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, se sont inquiétés du fait que, si le projet de loi était adopté, il priverait les employeurs de la possibilité d’atténuer les préjudices causés par des interruptions de travail prolongées et entraînerait d’autres problèmes dans les chaînes d’approvisionnement qui se remettent encore des fermetures liées à la pandémie de COVID-19. 

Le Québec et la Colombie-Britannique disposent de lois similaires depuis des années. 

Le projet de loi libéral devrait concerner environ un million de travailleurs. Il ne s’appliquera pas à la fonction publique fédérale ni aux lieux de travail réglementés par une province ou un territoire.

Un «consensus»

«Ce projet de loi pourrait faire consensus au parlement. Il n’y a pas de raison pour que son adoption ne soit pas réalisée dès décembre», a indiqué le cabinet du chef du Bloc québécois dans une déclaration. 

Les bloquistes ont rappelé avoir «déposé à onze reprises un projet de loi visant à moderniser l’archaïque loi fédérale en matière de relations de travail et que les libéraux ou les conservateurs s’y sont toujours opposé, avant le dépôt du projet de loi de la semaine dernière». 

«Pourquoi ce revirement ? demande Yves-François Blanchet. Parce que cette loi qui pourrait facilement prendre un an à être adoptée, surtout si les conservateurs s’y opposent, n’entrerait en vigueur que 18 mois après son adoption par la Chambre des communes et le Sénat, puis la sanction royale. Ça risque de nous mener après les élections, peut-être ne jamais être adopté.»

Dans le cadre de leur campagne de réélection en 2021, les libéraux avaient initialement promis d’interdire aux employeurs d’utiliser ces travailleurs pendant les lock-out, et ils ont élargi cette politique pour couvrir les grèves dans le cadre de l’accord de soutien et de confiance avec le NPD.

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a célébré le projet de loi comme un succès non seulement pour son parti, mais aussi pour le mouvement syndical, dont les dirigeants ont fait pression pour interdire l’utilisation des travailleurs de remplacement pendant des décennies. 

«Cette loi est le résultat direct de l’utilisation par le NPD de son influence pour forcer le gouvernement à le faire — avec moins de sièges que le Bloc québécois», a affirmé Alexandre Boulerice, porte-parole du NPD en matière de travail, dans une déclaration mardi.

Le Bloc dispose du troisième plus grand nombre de sièges au sein du Parlement minoritaire après les conservateurs de l’opposition officielle. 

«Le plus tôt possible»

Selon M. Boulerice, les néo-démocrates souhaitent bien entendu que la législation soit adoptée le plus tôt possible. Il a ajouté que les libéraux sont «conscients que le NPD souhaite une période de transition plus courte».

Le NPD n’a pas immédiatement indiqué la durée qu’il juge la plus appropriée. 

«Ces dispositions devraient entrer en vigueur le plus tôt possible. Nous avons lutté aux côtés du mouvement syndical pendant des années pour que cela se produise et nous sommes heureux de voir le Bloc soutenir nos efforts pour adopter une législation anti-scabs», a indiqué M. Boulerice.

En réponse aux préoccupations de l’industrie, les dirigeants syndicaux ont affirmé qu’ils pensaient que l’élimination des travailleurs de remplacement se traduirait par des actions plus courtes et un environnement moins combatif une fois que les employés reprendraient le travail.

La semaine dernière, M. O’Regan s’est dit prêt à voir le projet de loi adopté rapidement et à collaborer avec les autres partis pour y parvenir. 

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a indiqué que son parti était encore en train d’examiner le projet de loi. M. Poilievre a déclaré que, bien qu’il doive étudier le projet de loi, il se rangeait du côté des travailleurs qui luttent pour des salaires plus élevés à une époque où les coûts augmentent et où les logements sont inabordables, ce qu’il a imputé au premier ministre Justin Trudeau.

Le projet de loi arrive au moment où M. Poilievre tente de courtiser le vote de la classe ouvrière en promettant moins d’intervention du gouvernement et davantage de «gros bon sens», notamment dans les circonscriptions détenues par le NPD dans le nord de l’Ontario et dans certaines parties de la Colombie-Britannique. 

Bien que le parti ait réussi à séduire les travailleurs eux-mêmes, y compris ceux qui sont syndiqués, les dirigeants syndicaux sont restés méfiants à l’égard du message des conservateurs et ont souligné que M. Poilievre soutient depuis près de 20 ans les lois de retour à l’emploi au Parlement.

– Avec des informations de Michel Saba