Rentrée parlementaire à Ottawa: les libéraux jettent les gants contre Poilievre

OTTAWA — Alors que les souhaits de «bonne rentrée» fusaient lundi, les libéraux aiguisaient leurs couteaux, résignés à en découdre lors de la nouvelle session parlementaire avec le chef conservateur Pierre Poilievre qui mène désormais dans les sondages.

«Nous nous efforçons d’obtenir de vrais résultats, tandis que le chef d’en face se concentre sur des slogans vides de sens et à se chamailler», a envoyé le premier ministre Justin Trudeau à M. Poilievre lors de la période des questions.

Dans ce dernier échange, alors que le chef conservateur ne pouvait plus répondre, le chef libéral est allé pour la jugulaire, évoquant les politiques qui font débat dans les rangs adverses.

«Et nous le faisons sans le plan conservateur visant à restreindre l’accès à l’avortement, à nier l’impact des changements climatiques et à déployer davantage d’armes d’assaut dans nos rues», a-t-il ajouté, provoquant de hauts cris dans les banquettes conservatrices.

Le ton était ainsi donné pour 11 semaines de débats politiques jusqu’à la pause des Fêtes.

Dans ses questions précédentes, M. Poilievre s’est concentré sur les enjeux relatifs au coût de la vie. «Après huit ans de ce premier ministre, le coût du logement a doublé et maintenant les taux d’intérêt augmentent plus rapidement que dans toute l’histoire de notre pays», a-t-il déclaré.

Enfilant les statistiques, le chef conservateur a affirmé tour à tour qu’il s’est construit moins de logements en 2022 que 50 ans plus tôt et qu’une baisse de 32 % est prévue cette année.

Plus tôt en matinée, les portes de la Chambre des communes n’étaient pas encore ouvertes que déjà, dans le foyer, des ministres libéraux multipliaient les attaques contre leurs adversaires conservateurs qui s’en étaient eux-mêmes donné à cœur joie tout l’été.

Le projet de loi que les conservateurs devaient déposer le jour même pour «bâtir des logements, pas de la bureaucratie» ne contient que des «demi-mesures, si même il y en a», a déclaré le nouveau ministre du Logement, Sean Fraser.

«C’est une poignée d’idées qui semblent franchement avoir été tirées de Google après cinq minutes de recherche, jetées au mur pour voir ce qui colle plutôt que des solutions concrètes à des problèmes bien réels», a-t-il renchéri.

À ses côtés, la nouvelle leader du gouvernement à la Chambre, Karina Gould, en a rajouté une couche. Ce projet de loi «laisse de côté la classe moyenne, c’est super typique des conservateurs».

Les libéraux tirent de l’arrière dans les sondages. Le plus récent, d’Abacus Data, leur crédite à peine 26 % des intentions de vote. Les conservateurs atteignent eux des sommets à 41 % et les néo-démocrates sont à 18 %. Au Québec, le Bloc québécois mène avec 36 %.

Projet de loi «imminent»

Lors de ce point de presse visant à discuter du menu législatif de l’automne, Mme Gould a affirmé que la session ne sera rien de moins qu’«historique» alors que son groupe parlementaire mettra l’accent sur «l’abordabilité et la sécurité publique».

À l’ordre du jour, le gouvernement déposera un projet de loi pour faire face à l’augmentation du coût de la vie et du logement.

C’est «imminent», a dit la ministre Gould qui a refusé d’en préciser le contenu si ce n’est qu’il comprendra «un ensemble de mesures» et qu’il sera «plus complet que ce que les conservateurs ont mis sur la table».

Pourquoi le projet de loi ne se contenterait-il pas d’abolir la taxe de vente fédérale sur la construction de nouveaux immeubles locatifs, une idée qui semble faire l’unanimité?

Pendant près de deux minutes, la ministre Gould a contourné la question. Puis, plus tard, dans une réponse sur un autre sujet, il lui est venu une idée lumineuse au sujet de la TPS: M. Poilievre devrait cesser de faire des «crises de colère dans le coin» et plutôt travailler en équipe avec les autres parlementaires, a-t-elle envoyé.

En Chambre, le leader parlementaire du Bloc québécois, Alain Therrien, a lancé aux libéraux que s’ils ont véritablement comme priorité le logement, «ben qu’ils libèrent le 900 millions $» qui revient au Québec pour construire des logements.

L’Union des municipalités du Québec accuse Ottawa de retenir cette somme dans l’attente d’un règlement avec le gouvernement provincial.

Cela envoie comme message aux Québécois qui peinent à se loger décemment qu’ils ne sont pas la priorité du gouvernement, mais qu’ils passent plutôt «deuxièmes après les chicanes de juridictions», a raillé le bloquiste alors que son chef était en «mission» à Washington.

Le premier ministre Trudeau a repris la balle au bond. «Au contraire, on sait très bien que le Bloc est ici pour des chicanes», a-t-il dit sans répondre sur le fond.

Assurance-médicaments

Les libéraux promettent aussi de déposer cet automne un projet de loi qui comprendra «des actions réelles, des étapes tangibles» vers un programme national universel d’assurance-médicaments, l’un des éléments clés de l’entente de soutien et de confiance avec le Nouveau Parti démocratique (NPD).

Ils souhaitent que le projet de loi franchisse toutes les étapes nécessaires à son adoption par la Chambre d’ici les Fêtes et dénoncent d’ores et déjà «l’obstruction politique délibérée» de «ceux qui s’y opposent».

S’agit-il d’une autre pichenette à peine voilée envers les conservateurs? Oui, a confirmé Mme Gould en évoquant leur comportement «épouvantable» pour retarder un précédent projet de loi.

Du point de vue du NPD, la ministre semble déjà mettre la table pour justifier que l’échéance de la fin de l’année pour adopter une telle loi prévue à l’entente ne sera pas respectée.

«On va forcer le gouvernement de le faire», a répété le chef néo-démocrate Jagmeet Singh en conférence de presse.

Mais alors, comment «forcer»? Menacez-vous de déchirer l’entente? «On va mettre la pression», a répondu M. Singh en faisant référence au fait que le gouvernement a déclenché une enquête publique et qu’il verse désormais des fonds pour les soins dentaires des enfants, malgré des réticences initiales.

Quant au Bloc, le gouvernement ne semble pas croire qu’il sèmera des embûches. Mme Gould a d’ailleurs été élogieuse à leur égard, affirmant qu’ils ont précédemment travaillé «extrêmement bien» ensemble et un accord asymétrique a été conclu avec le Québec dans le cadre du projet de loi C-35 sur les garderies et la petite enfance.

Mais le NPD n’est pas chaud à l’idée que le Québec puisse simplement recevoir un chèque, ce qui provoquera assurément des flammèches. M. Singh insiste qu’il veut «un programme qui est entièrement universel, public».

La réplique du Bloc ne s’est pas fait attendre. «On exige (un) droit de retrait avec pleine compensation s’il y a (un programme d’) assurance-médicaments. On va être au front pour ça», a déclaré M. Therrien.

Les néo-démocrates, a-t-il dit, sont «des libéraux pressés» qui ont pour «leitmotiv» d’«empiéter dans les compétences» des provinces et de centraliser les pouvoirs.

Chose certaine, l’agenda législatif des libéraux sera fortement inspiré de l’entente avec leurs partenaires de coalition. Services de garde, soins dentaires, assurance-médicaments et logement sont des priorités communes. D’ailleurs, une rencontre devait avoir lieu lundi entre MM. Singh et Trudeau.