Une étude a suivi 50 personnes sans-abri après leur avoir donné 7500 $

VANCOUVER — Un contraste saisissant existe entre la perception du public et la réalité quant à la façon dont les personnes sans-abri dépensent leur argent, affirme une chercheuse qui a donné à 50 d’entre elles en Colombie-Britannique 7500 $ pour qu’elles puissent en faire ce qu’elles voulaient.

Au lieu d’écouler cette manne dans des «biens de tentation», comme l’alcool, les drogues ou les cigarettes, elles l’ont dépensée en loyer, en vêtements et en nourriture, selon l’étude menée par Jiaying Zhao, chercheuse à l’Université de la Colombie-Britannique.

L’aide a même généré une économie nette de près de 800 $ par bénéficiaire, en tenant compte des coûts qu’aurait impliqués la fourniture d’un hébergement en refuge.

«L’objectif est de faire quelque chose contre la crise des sans-abri ici au Canada, et plus particulièrement à Vancouver, car les approches actuelles échouent, a déclaré Mme Zhao, qui travaille avec les décideurs politiques sur ce problème. Je pense que cette étude fournit des preuves très solides en faveur d’une politique de revenu de base.»

Les chercheurs ont suivi les dépenses des bénéficiaires pendant un an après la remise de la somme. Ils ont également suivi un groupe témoin de 65 sans-abri qui n’ont pas reçu l’aide.

L’étude, récemment publiée dans le magazine américain PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences), a révélé que les bénéficiaires ont passé 99 jours de moins sans un abri et 55 jours de plus dans un logement stable. Ils ont également conservé 1160 $ d’économies supplémentaires.

Mme Zhao, professeure agrégée de psychologie à l’UBC, a déclaré mercredi dans une entrevue que les chercheurs «ont découvert une gamme d’avantages positifs surprenants d’un transfert en espèces».

Les dépenses en «biens de tentation» n’étaient pas différentes entre les bénéficiaires et le groupe témoin. Cependant, l’étude n’incluait pas les personnes présentant une consommation grave de substances ou d’alcool ou des symptômes de santé mentale. D’autres critères exigeaient que les participants soient en situation d’itinérance depuis moins de deux ans.

Les participants ont été recrutés dans 22 refuges pour sans-abri dans le Lower Mainland de la Colombie-Britannique.

Les coûts pour la société

L’étude indique qu’en réduisant le temps passé dans les refuges, le transfert d’argent était «rentable». On y précise que le coût sociétal d’un séjour dans un refuge à Vancouver était d’environ 93 $ par nuit, et que la réduction du nombre de nuits dans les refuges entraînait des «économies de coûts sociétaux» de 8277 $ par bénéficiaire.

Cela représentait une économie nette de 777 $ par rapport à la somme remise aux personnes sans-abri.

«Alternativement, les lits libérés dans les refuges peuvent être réaffectés, de sorte que les bénéfices puissent se répercuter en aidant les autres à éviter de dormir dans la rue», note l’étude.

Mme Zhao a indiqué que l’étude avait été financée par une subvention du gouvernement fédéral et par des donateurs privés et des fondations qu’elle n’a pas voulu identifier.

La perception du public

L’équipe de recherche a également mené une enquête en ligne auprès d’environ 1100 résidants américains pour comprendre les perceptions du public sur les dépenses des personnes sans-abris.

Les Vancouvérois n’ont pas été recrutés parce que l’équipe cherchait une «voix représentative» en Amérique du Nord, et Mme Zhao a souligné que «les habitants de Vancouver sont plus progressistes que la moyenne des Nord-Américains».

Les personnes interrogées prédisaient que les bénéficiaires d’un transfert monétaire inconditionnel de 7500 $ dépenseraient 81 % de plus en biens comme l’alcool, les drogues et le tabac s’ils étaient sans abri que s’ils étaient logés.

Mme Zhao a déclaré que la plupart prévoyaient également que les personnes sans-abri dépenseraient 300 $ par mois pour de tels biens, tandis que l’étude a révélé que ces personnes ne dépensaient qu’environ 100 $ par mois pour de tels biens.

«C’est une croyance malheureuse et omniprésente chez de nombreuses personnes, c’est pourquoi nous voulions réellement examiner ou se pencher sur ce biais», a-t-elle déclaré.

Mme Zhao a indiqué que son équipe a découvert que la perception du public pouvait être remise en question grâce à des messages efficaces et à des changements politiques.

«Je travaille avec des politiciens et des décideurs au Canada sur des projets de loi comme celui-ci», a-t-elle déclaré, faisant référence au projet de loi S-233 actuellement devant le Sénat et visant à créer un cadre national pour un revenu de base garanti afin de couvrir les dépenses essentielles de subsistance des personnes au Canada âgées de plus de 17 ans.

Elle a indiqué que les chercheurs reproduisent désormais l’étude auprès d’un plus grand échantillon de personnes et l’étendent à d’autres villes du Canada et des États-Unis.