Conservation versus développement: la petite communauté de Mystic divisée

Les citoyens du hameau de Mystic divergent d’opinion quant au sort qui doit être réservé à une ancienne maison de chambres érigée par la famille Walbridge à la fin du 19e siècle.

Le nouveau propriétaire, Josef Bihler, laisse entendre que la restauration de l’édifice  de trois étages, situé au 1730 chemin Walbridge, nécessiterait «un travail monumental», en plus de coûter une petite fortune.

Ce dernier souhaite démolir cette maison et y ériger un nouveau bâtiment de style Nouvelle-Angleterre de même superficie.

«Il y a plusieurs options sur la table. Ce pourrait être un Bed & Breakfast, comme ce pourrait être un édifice à condos de huit unités. J’ai fait préparer des esquisses par un designer et je compte présenter ça  au conseil municipal de Notre-Dame-de-Stanbridge prochainement», indique M. Bihler, un homme d’affaires bien connu dans la région à titre de propriétaire du centre de santé Euro-SPA.

Le promoteur soutient que l’édifice existant n’a rien d’exceptionnel et présente de nombreuses lacunes.

«On n’y trouve pas de plancher, escalier ou boiseries de grande qualité, comme dans certaines demeures ancestrales de Brome-Missisquoi. La maison n’est pas isolée, est mal divisée et ne rencontre pas les standards actuels de la construction. Il n’y a pas non plus d’électricité au deuxième étage», précise-t-il.

M. Bihler se dit sensible au cachet de Mystic et dit vouloir s’inspirer de l’architecture du voisinage.

«Je pense à une construction de bon goût, avec des matériaux nobles comme le bois, la brique ou la pierre, agrémentée de belles terrasses et balcons», insiste-t-il.

Le promoteur ajoute que son projet de condos permettrait à Mystic d’accueillir huit nouvelles familles et «de ramener du monde au village».

M. Bihler dit vouloir s’inspirer du complexe de condominium Au Tournant de la rivière, situé en face du complexe funéraire Brome-Missisquoi, rue Rivière, à Bedford.

Autre point de vue

 

Certains résidents de Mystic voient les choses autrement et conçoivent mal que l’édifice puisse être démoli pour faire place à du neuf. C’est notamment le cas des voisins immédiats, Danièle Darvau et André Forte.

«Je trouverais dommage qu’on jette la maison à terre et qu’on y bâtisse quelque chose de moderne. Quand notre maison a partiellement brûlé, voilà quelques années, nous avons a pris soin de la rénover avec l’aide d’un architecte du coin, dans le respect des traditions», indique Mme Darvau, qui habite Mystic depuis sept ans.

André Forte signale que Mystic constitue le dernier hameau du Québec – avec sa cinquantaine d’habitants – et mérite que tout soit mis en œuvre pour le préserver ou le mettre en valeur.

Marie Nadeau-Tremblay, qui a vécu à Mystic entre l’âge de 9 et 15 ans, ne veux pas partir en guerre contre M. Bihler, mais tient mordicus à ce que l’on respecte l’esprit du village.

«Ma plus grande peur, c’est que l’on démolisse l’ancienne maison de chambres et les deux petites maisons du chemin Walbridge qui appartenaient à Thelma Gage jusqu’à son décès, en novembre 2013, à  l’âge de 85 ans», affirme l’ex-résidante de Mystic.

La jeune femme de 22 ans a notamment alerté l’association Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec et lancé une pétition en ligne sur le site Care2, à la fin avril, ayant pour titre «Don’t let Mystic’s old hotel (and two old houses) be destroyed to make room for condos!» Cette requête, endossée par 281 signataires, est adressée à Josef Bihler (nouveau propriétaire de la maison de chambres), André Poutré (propriétaires de trois autres maisons anciennes) et à l’administration municipale de Notre-Dame.

«La quasi-totalité des signataires n’habitent pas ici, mais proviennent aussi bien du Chili, de la Croatie et du Royaume-Uni que des États-Unis et du Canada. Pratiquement personne du village n’a signé la fameuse pétition», réplique Daniel Patenaude, qui habite Mystic depuis 62 ans et siège notamment au conseil d’administration de la fondation Conservation Walbridge.

«Notre fondation n’a pas racheté les anciennes propriétés de Mme Gage pour une raison bien simple. Elle en a déjà plein les bras avec l’entretien de ses autres édifices», indique le sexagénaire, en faisant référence à la grange octogonale, l’église et le cimetière.

M. Patenaude va même plus loin en suggérant aux signataires de la pétition de se cotiser pour racheter l’ancienne maison de chambres et les autres édifices à risque de démolition.

L’APMAQ prend position

 

L’association Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ) apporte son appui à l’action menée par des citoyens de Mystic en vue de la sauvegarde de trois bâtiments centenaires.

Selon Michel Létourneau, architecte spécialiste en conservation du pratrimoine, l’hôtel (maison de chambres) situé au 1730 chemin Walbridge, appartient au style cottage pittoresque (populaire à partir des années 1850), avec influence gothique. Sa construction daterait d’avant 1910.

. Selon M. Létourneau, l’architecture de la maison du 112 chemin Walbridge s’inspire du style vernaculaire rural américain, avec influence du renouveau gothique. Elle aurait été construite entre 1860 et 1910.

Toujours selon M. Létourneau, la maison située près de la voie ferrée ne présente pas le même intérêt que les deux autres. Sa construction semble plus récente (entre 1900 et 1920).

L’APMAQ formule le vœu que les conseils municipaux de la région s’associeront à tous ceux qui souhaitent que Mystic préserve son patrimoine. Elle suggère par ailleurs d’attribuer de nouvelles fonctions  aux bâtiments en question afin de leur donner une seconde vie.

«Nous recommandons aux municipalités d’agir de façon réfléchie dans ce genre de dossier et d’y penser à deux fois avant d’émettre un certificat de démolition», indique Chloé Guillaume, coordonnatrice de l’APMAQ.