Nigger Rock: des voix s’élèvent contre un changement d’appellation

TOPONYMIE. Seize mois après la désofficialisation de l’appellation Nigger Rock, un nom faisant référence à un lieu de recueillement de la communauté noire situé à Saint-Armand, le dossier est loin d’être clos. Plusieurs intervenants prônent en effet le retour à l’appellation d’origine.

Après la Ligue des noirs du Québec, la Société d’histoire de Missisquoi et la municipalité de Saint-Armand, c’est maintenant au tour de la MRC de Brome-Missisquoi d’interpeller la Commission de toponymie du Québec en rapport avec cette affaire.

La résolution adoptée le 21 février dernier par la table des maires de Brome-Missisquoi vient appuyer une résolution de l’administration Pelletier demandant à la Commission de toponymie du Québec de conserver l’appellation Nigger Rock pour désigner le rocher noir qui surplombe la ferme familiale des Benoit à 250 m à l’ouest du chemin Luke.

«La décision de la Commission de poursuivre sa réflexion afin de changer le nom du rocher démontre que cette dernière ne reconnaît pas l’existence dudit site et son importance au niveau du patrimoine culturel de Saint-Armand», indique le conseiller municipal Richard Désourdy auteur de la résolution.

Le maire Réal Pelletier rappelle que le rocher noir, situé à l’arrière du cimetière de la famille Luke, est devenu un symbole de la présence des noirs dans Brome-Missisquoi.

«On ne peut pas s’amuser à changer l’Histoire sous le simple prétexte que l’appellation a une connotation péjorative», insiste-t-il.

Le président de la Société d’histoire de Missisquoi, François Reid, est du même avis.

«Notre conseil d’administration favorise le maintien du nom Nigger Rock, qui remonte au XIXe siècle. Pourquoi devrait-on le changer?», se demande M. Reid.

Position de la Ligue des noirs

Le président fondateur de la Ligue des noirs du Québec, Dan Philip, connaît bien ce lieu de recueillement qu’il a visité pour la première fois voilà plus de 20 ans.

«La Ligue organise un voyage à Nigger Rock, le 23 août de chaque année, à l’occasion de la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition. Une trentaine de personnes font la navette entre Montréal et Saint-Armand bon an, mal an, pour s’y recueillir. Notre groupe se rend également dans l’ancienne gare, qui abrite aujourd’hui les bureaux de la municipalité, pour jeter un coup d’oeil à une plaque offerte par le gouvernement de Bernard Landry pour commémorer la présence noire dans Brome-Missisquoi», signale M. Philip.

Il n’existe pratiquement pas de témoignages écrits sur la présence d’esclaves noirs dans Brome-Missisquoi et ailleurs au Québec. Les seules informations concernant ce sujet, longtemps considéré comme tabou, ayant été transmises par tradition orale.

«L’histoire ne donne pas un portrait très clair de la situation et ne fournit pas de nombres précis. Il faudrait poursuivre les recherches…», indique M.Philip.

Le président de la Ligue des noirs admet que l’utilisation courante du mot nègre pour désigner les hommes et les femmes à la peau noire est inacceptable. Il n’en croit pas moins qu’il s’agit du mot le plus approprié pour faire référence au site de Saint-Armand.

«Je trouve aberrante et totalement inacceptable la proposition de la Commission de toponymie du Québec de modifier l’appellation Nigger Rock. En lui donnant un nom différent, on essaie de changer l’Histoire. Les gens doivent savoir ce qui s’est réellement passé, il ne sert à rien de nier le passé», plaide M. Philip, qui entend continuer à utiliser l’appellation d’origine même si la Commission recommande de la remplacer.

Arguments de la Commission

L’appellation Nigger Rock a été désofficialisée en septembre 2015, en même temps que celle de dix autres lieux comportant les mots nègre ou nigger.

La Commission de toponymie du Québec n’a toujours pas remplacé ces appellations et poursuit ses consultations auprès des milieux concernés afin de trouver des noms à connotation plus positive.

«Chez nous, le pouvoir de nommer un lieu est partagé entre la Commission et les municipalités. Les autorités municipales suggèrent des noms pour les parcs, édifices et voies publiques que la Commission se charge ensuite d’entériner. Le nom devient officiel après publication d’un avis dans la Gazette officielle du Québec», explique Jean-Pierre LeBlanc, porte-parole de cet organisme relevant de l’Office québécois de la langue française.

Selon ce dernier, la plupart des endroits dont le nom a été désofficialisé sont des entités géographiques peu fréquentées.

«La Commission a reçu des propositions pour certains des onze sites comportant le mot nègre dans leur appellation, mais, à ma connaissance, il n’y a pas eu de proposition pour Nigger Rock. En bout de ligne, la Commission va étudier les propositions et trancher. C’est un processus qui peut être long, car on veut s’assurer que le choix de la Commission plaise au plus grand nombre», explique M. LeBlanc.

M. LeBlanc laisse entendre qu’il serait «étonnant que la Commission revienne en arrière» et autorise l’utilisation du nom d’origine.

Signalons que 1 675 toponymes ont été officialisés au Québec en 2016.